CTC-Quelles sont les tendances que tu vois dans le ski de rando et qui présagent du futur ?
M.J.-J’en vois trois. La première, c’est la freerando. La seconde, et la plus importante, c’est la rando fitness et je vois des trailers s’y mettre comme si c’était un footing. Enfin, la troisième tendance est la compétition et le développement des montées sèches. Aujourd’hui, il y a quelques vraies courses de ski alpi comme La Grande Trace, La Pierra-Menta et La Belle Etoile, ensuite ce sont des montées sèches qui apparaissent un peu partout, sous l’influence de la rando fitness et parce que c’est aussi beaucoup plus simple à organiser.
CTC-Il y a une frange de randonneurs, qu’on va appeler traditionalistes (pour rester poli), qui ne considèrent pas la rando fitness comme de la rando. Es-tu d’accord ?
M.J.-Bien sûr ! Ces randonneurs traditionnels ont du mal à voir évoluer la pratique dans un esprit où le sport prime sur la découverte et la contemplation. Ce qui est paradoxal, c’est que ce sont les premiers à regarder leur montre au sommet d’une course ! On a le même problème pour l’alpinisme où l’on confronte deux mondes : la tradition et le fast and light. Ce n’est pas anti-sécuritaire de faire l’Aiguille du Tour en mode rapide (selon les conditions du jour, de sa connaissance du terrain et de son niveau technique et physique) : il n’y a pas de crevasses, ni de ponts de neige, donc pourquoi mettre une corde ? C’est écrit où ? Ces randonneurs traditionnels ne sont pas forcément fermés mais ils sont têtus. Il faut suivre l’évolution de la pratique, et même si tu ne veux pas, ces nouvelles tendances de la rando ne t’empêchent pas de pratiquer comme tu veux ! C’est l’un des points forts de la rando : tu la pratiques comme tu veux !
CTC -La rando fitness attire des skieurs qui ne connaissent pas les dangers de la montagne et souhaitent évoluer sur un terrain sécurisé. Que penses-tu de cela ?
M.J. -C’est vrai, cette nouvelle population, principalement des traileurs, ne connait pas la montagne, alors il faut tout mettre en oeuvre pour les éduquer. Il y a exactement le même problème avec les salles d’escalade. Il y a dix ans, il n’y avait pas autant de salles donc pas autant de grimpeurs, c’était considéré comme un sport plutôt dangereux, en milieu hostile. Maintenant, plein de grimpeurs évoluent en salle et passent à la falaise ensuite. De la même manière, on peut commencer à apprendre sur une piste, en station, et ensuite aller en montagne. C’est comme ça que j’ai envie de pousser mon message… Mais ça reste compliqué à entendre pour certains, comme les guides ! Dans ma formation de guide à l’ENSA, j’avais du mal à expliquer ma pratique, à donner ma vision un peu différente. Les guides, c’est un monde de traditions et de rituels, d’us et coutumes, alors quand tu amènes de l’évolution, ça prend du temps… Mais ça va venir ! Ils ont peur du changement, ils veulent défendre leur pratique. Quand je bosse en tant que guide (6 mois de l’année), je vois ces évolutions : les clients veulent aller vite, ne pas perdre leur temps, faire des courses à la journée, des classiques pas techniques, ils ne veulent pas des grosses chaussures aux pieds ni monter au refuge la veille : ils veulent consommer.
CTC-Comment transmettre la culture montagne ?
M.J.- Ca passe par la multiplication d’évènements comme le Big Up&Down, l’interêt des athlètes pour cette culture montagne, de la pédagogie là où il y a des pistes de ski de rando, l’implication de figures locales, les journalistes… Ca demande de la passion, du temps, des efforts, c’est comme tout : soit tu vis dans ton petit monde et tu ne penses qu’à toi, soit tu es passionné et tu essaies de le faire évoluer ta pratique au delà de ta personne.
CTC-Amener des clients, et surtout des débutants, en montagne, ça t’apprend quoi ?
M.J. – Je guide surtout l’été, tous les niveaux et ce que j’aime, c’est vraiment la transmission… Mais ça va dans les deux sens : le client m’apporte aussi beaucoup ! Ils me sortent du cercle du sport de haut-niveau et me ramènent à la réalité. Ca me donne un équilibre. Quand tu emmènes un client en montagne et qu’il chiale au sommet parce qu’il vient de réaliser un rêve, c’est beau, c’est un moment fort !
CTC-Comment abordes-tu cette nouvelle édition de la Pierra Menta ?
M.J.-D’abord me faire plaisir, car je sais que sportivement, je ne suis pas au même niveau que l’année dernière. Je n’ai plus trop cette démarche de compétiteur à bloc, j’ai d’autres projets qui me motivent plus que la compétition. La Pierra Menta, je l’ai gagnée deux fois déjà… Je suis dans une autre démarche que la performance. Je n’arrive plus à me lever le matin en me disant qu’il faut que je sois performant. Quand tu ne fais plus ton sport pour le plaisir mais pour le résultat… En plus, on te demande d’être de plus en plus professionnel sans avoir de retour sur investissement… Qui connait le circuit de coupe du monde ? Les noms des vainqueurs ? Mes partenaires sont bien plus contents que je fasse des films et maintenant j’ai envie de sortir pour me faire plaisir avec les copains !
La coupe du monde m’a apporté beaucoup, au début il faut passer par là, mais aujourd’hui je suis passé à autre chose. Ca ne m’intéresse plus de me battre pour la 10ème place sur une Coupe du Monde.
Je suis jeune mais ça fait 10 ans que je fais de la compétition ! J’ai gagné toutes les course que je voulais gagner quand j’étais gamin et je ne veux pas gagner dix fois la même chose, je ne veux pas entrer dans la légende du ski de rando, il y a beaucoup d’autres choses à faire dans la vie !
CTC-Quels sont tes autres projets ?
M.J.-Un film de 52 minutes sur ma vie de skieur, sans performance, et le but est de me faire connaitre comme un gars polyvalent. Je reviens d’Islande, on a tourné un 26 minutes et on prépare un autre 26 minutes sur mes records : Cham-Zermatt et Mont Blanc.
Ma définition de CTC : c’est un groupe de rock ! CTC est dans le vent de la rando, met en avant les différentes pratiques et essaie de changer la mentalité et les traditions.
Propos recueillis par Guillaume Desmurs