Y. D. – C’est le secteur dynamique du ski en général et du ski de montagne plus particulièrement. Il y a une dimension importante : le bien être fitness, l’entretien du corps. On ne va plus faire 25 pistes pour se défouler mais 1h de rando. Je pense que la rando va continuer à se développer. Comment et à quel rythme ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c’est que la demande est très forte. Il y a un point commun avec le trail : ça touche tous les publics à tous les niveaux !
Y. D. – Dans l’offre, il faut satisfaire à la fois le randonneur classique, qui existe toujours et qui est très ancré sur son mode de fonctionnement, et les nouveaux arrivants qui pratiquent différemment (et ceux-là peuvent être d’anciens randonneurs !). Ils ont des attentes nouvelles : passer un bon moment, découvrir des endroits sympas, la notion de risque doit être minimale (avalanche, crevasse, nivologie, terrain et carto). Tout cela n’intéresse pas ces pratiquants-là. Ils préfèrent se mettre dans la trace pour profiter).
On propose aussi deux journées rando avec nuit en refuge, le week-end, une formule qui marche bien. On attend, en effet, plus les guides sur ce terrain-là que pour des sorties à la journées où il est difficile de trouver des itinéraires non tracés !
Le ski de rando doit se développer de la même façon que la randonnée pédestre l’été en répondant à ces nouveaux besoins : certains marcheurs sont capables de monter vite, s’entrainent, d’autres montent doucement avec leur gros sac et leur pique-nique, en famille. Les sentiers sont balisés, indiquent le temps de marche, il y a des refuges et quasiment aucun risque inhérent. C’est ce que développent les stations aujourd’hui pour les randonneurs à ski… et peut-être aller plus loin : zones sécurisés et laissées vierges ?
La réponse doit s’adapter au terrain, ce ne sera pas la même chose à Chamonix qu’à Courchevel, dans les Pyrénées ou à Isola 2000.
Y. D. – Les randonneurs n’achètent pas des forfaits mais skient : ils louent du matériel, se nourrissent, consomment. Ce sont des gens qui ne trouvent plus leur compte dans la pratique du ski alpin classique : pistes trop faciles, trop rapides, il y a plein de raisons… Mais un parcours de randonnée dans les bois, balisé, qui arrive aux sommet des pistes avec un restaurant et une descente tranquille sur les pistes, c’est intéressant ! Il faut l’aménager, il faut créer ces lieux et impliquer les pros de la montagne, dont les guides… car l’étape suivante, c’est de quitter ce domaine organisé pour un terrain complètement vierge.
Tu sais nager en piscine et on te balance au milieu de la Méditerranée ? Il n’y a pas du tout les mêmes choses à gérer. C’est pareil en montagne. Notre travail dépasse celui de guide classique, type « je vais devant et suivez-moi », pour proposer plutôt du coaching de la pratique. Comment appréhender le terrain ? Regardez votre Suunto mais aussi la pente au-dessus ! Prenez en compte les 150 copains partis devant ! Le domaine haute-montagne en glacier nécessite un matériel spécifique et la gestion de situations peut devenir rapidement compliquée.
Y. D. – C’est vrai et cela grâce à l’évolution du matériel. Le freerider se rend compte que son terrain peut être décuplé avec la rando ! Il comprend qu’avec des skis de rando et des fixations plus légères, il a la même notion de plaisir et de confort à la descente.
Ces skieurs-là sont autonomes, ils n’ont pas besoin d’un guide. Ceux qui viennent nous voir aiment la montagne, ne la connaissent pas et ne veulent pas se préoccuper de sécurité. C’est le maitre-mot : on ne vous garantit pas la bonne neige, même si on fera tout pour la trouver, mais surtout on vous offre, avec un guide, la tranquillité d’esprit de ne pas avoir à gérer la sécurité !
Notre produit Chamonix-Zermatt en 3 jours est, par exemple, destiné à cette nouvelle population. 1 000 mètres de denivelé, il y a dix ans, c’était un grosse journée. Aujourd’hui, avec le matériel et l’entrainement, 2000m c’est possible !
Y. D. – Je ne pense pas que le matos de rando va équiper tout le monde. Le prix d’une fixation de randonnée est bien plus élevé qu’une fixation alpine. Sur le marché du ski dans sa globalité, la rando ne représente pas grand chose. Ce que tu dis est probablement une réalité dans des endroits très spécifiques, comme Chamonix, ou la rando concurrence le ski alpin, mais globalement le coût du matos rando reste prohibitif pour une généralisation !
L’une des grosses lacunes, à mon avis, est le test matériel. Les skieurs ne peuvent pas acheter une chaussure 1000 euros sans l’avoir essayé ! Pour convaincre le consommateur et le faire évoluer, il faut qu’il utilise le matériel.
L’autre manque, c’est l’offre pour les enfants. Sur cette activité en croissance, ne pas avoir du matos à proposer à des enfants, dès 10 ou 12 ans, c’est dommage. J’ai plein de gens qui viennent me voir, qui veulent faire de la rando avec leurs enfants… qui chaussent du 36, c’est foutu. Les fabricants ne l’ont pas anticipé alors qu’il y a une réelle demande. Moi, j’ai deux garçons et celui de dix ans m’a déjà posé la question. Il me voit partir en rando et veut me suivre !
Y. D. – Il y a quinze ans, les fixations à inserts Dynafit équipaient les compétiteurs. Aujourd’hui tout le monde glisse avec ça, montées sur leurs skis larges, et personne ne se pose plus la question de leur solidité. Personnellement, je n’ai même plus de matériel de ski de piste ! Cela permet à des très bons skieurs d’aller chercher des runs plus engagés ou exotiques : couloirs difficiles d’accès, en haute ou moyenne montagne. Tous ces spots se skient plus et plus tôt. Par exemple, dans le bassin d’Argentiere, prenons le Buet : il fallait vraiment de bonnes conditions pour les skier dès janvier, alors que maintenant c’est tracé rapidement. C’est devenu un lieu de pratique régulière, à la journée : 1700 m de dénivelé !
Le Buet est tracé tout le temps, c’est presque un endroit d’entrainement, alors qu’avant c’était un objectif !
Y. D. – Quand tu te retrouves dans des spots comme Les Confins (à La Clusaz, ndlr) ou au Reposoir, tu peux avoir 200 ou 300 personnes dans la trace. S’il a neigé 50 cm et qu’il fait grand beau, il y a du monde ! Un week-end au col de la Colombière, c’est l’autoroute, tu te décales à droite ou à gauche pour éviter les traces… Mais il faut bien comprendre que ce n’est pas une piste de ski, même en bonnes conditions, même très tracée une contrepente peut partir ! Il faut prendre en compte cette dimension-là. On a des exemples réguliers de pente tracée qui part. C’est la même problématique avec le freeride, avec la première benne des Grands Montets : ça surgit de partout pour faire la première trace ! Rien de nouveau…
Initialement publié dans Montagne Magazine Hors-Série Rando.