La multiplication des produits, la compatibilité aléatoire, le flou autour des normes… Impossible aujourd’hui de s’équiper correctement sans avoir dévoré au préalable les notices et parcouru les forums spécialisés. C’est en train de changer. La rencontre des deux cultures issues de la rando et du monde alpin force les fabricants simplifier…
Freerando : nouvel eldorado du monde du ski, riche de nouveaux pratiquants, de pouvoir d’achat et de croissance. Si l’on tente une définition, le (ou la) freerando n’est pas du freeride, ni du ski-alpinisme, ni de la rando traditionnelle, mais un peu de tout cela. Le terme regroupe tous ceux qui utilisent, peu ou prou, leur muscles pour accéder à un sommet, à un pente vierge ou simplement s’entrainer.
Cette nouvelle pratique se traduit en terme de matériel par : des skis larges et allégés (Black Diamond en a fait une ligne directrice, Rossignol a renouvelé sa gamme freeski dans cet esprit), des chaussures rigides au comportement alpin et munies d’un mode marche (aujourd’hui tous les fabricants, même les plus racing, disposent de colliers débrayables en gamme) et enfin de fixations de randonnée donnant la possibilité de skier à la descente, avec des caractéristiques très variables : les Duke de Marker et les Guardian de Salomon du côté freeride, lourdes et efficaces en courbes ; à l’inverse les Low Tech de Dynafit ou Plum représentent le versant rando privilégiant l’efficacité à la montée au détriment de la sécurité à la descente.
L’effervescence brouillonne du freerando a des conséquences pour l’acheteur de matériel : c’est un maquis complexe, aux compatibilités obscures et aux caractéristiques peu lisibles. Ainsi la nouvelle fixation alpine STH de Salomon accepte les chaussures de norme alpine et rando… mais pas n’importe quelles chaussures de rando, seulement celles à patins de standard WTR « Walk to ride » inventées et fournies par Salomon (et utilisées également par Rossignol grâce à un accord commercial). Autre exemple : les inserts Low Tech intégrés dans vos chaussures ne sont pas tous certifiés par Dynafit, inventeur de cette fixation devenue un standard. La notice de la marque autrichienne précise que :
« les fixations Dynafit sont adaptées pour des chaussures de randonnée avec inserts, proposées par Dynafit, Silvretta, Scarpa et Tecnica. Les chaussures de randonnée avec des inserts de ces fabricants sont vérifiées et validées par Dynafit. Certains fabricants de chaussures ont développé pour vos chaussures de ski de randonnée leurs propres inserts qui sont censés être adaptés aux fixations Dynafit. La société Dynafit ne peut pourtant pas garantir la fonction correcte ou la qualité desdits inserts ».
Salomon en a fait l’amère expérience sur sa première génération de Quest…
Ce casse-tête est bien résumé par Thomas Rouault, boss de Snowleader, l’un des principaux marchands sur la toile :
« j’ai voulu me prendre un pack rando… D’abord il faut choisir la chaussure : typée rando ou freerando ? Est-ce que sa semelle Vibram va être compatible avec la fixation ? Toutes les marques n’ont pas les vrais inserts Dynafit. Ensuite la fixation. Freins ou pas ? Déclenchement sécurisé ou pas ? A l’avant, à l’arrière ? Avec une fix de rando, quelle sera ma conduite de ski ? Est-ce judicieux de mettre une low tech sur un ski de plus de 100 mm au patin… bref, c’est l’enfer. Ce n’est pas du tout lisible ».
Continuons avec des exemples piochés dans ce maquis d’offres. Ainsi Plum, le fabricant haut-savoyard, précise que (les capitales sont les leurs) :
« le réglage effectué par le revendeur spécialisé n’est valable que pour les chaussures avec lesquelles le réglage a été effectué et ne peut pas être reporté directement sur d’autres chaussures. Si vous changez de chaussures, faite à nouveau régler l’ensemble ».
Inacceptable pour un skieur alpin qui veut se mettre à la freerando. Tout à fait normal en revanche pour un randonneur habitué aux personnalisations.
Autre point sensible : les normes. Le fait d’avoir une mesure DIN sur une fixation (par exemple DIN 16 sur la Beast de Dynafit), ne garantit en rien une reproductibilité du déclenchement à des valeurs identiques. Autrement dit : l’indication DIN ne veut pas dire que la fixation est normée et respecte la ISO 139523 (intitulée « Fixations pour le ski alpin de randonnée »). Antoine Ferrero de Nic Impex (distributeur entre autres de Diamir et Trab en France), précise :
« tout le monde fait la confusion entre échelle de valeurs DIN et déclenchement normé. La norme signifie que quelle que soit la position du ski (en virage, en extension) on va toujours déclencher à la même force. Pour les fixations low tech par exemple, personne n’est capable de dire quand la butée avant non verrouillée va lâcher. Pour l’arrière, il y a une échelle de valeur associée à la talonnière, mais elle va varier avec la flexion du ski. Les fixations alpines ont ainsi un chariot de compensation qui doit coulisser d’un nombre précis de mm pour obtenir la norme ».
Comment expliquer ces problèmes de compatibilité ? Ces tendances contradictoires ? La Freerando doit accueillir deux mondes, deux cultures aux exigences bien différentes. Prenons d’abord le skieur issu de la rando, qui connait toutes les subtilités du matériel, qui va acheter sa Plum à l’usine et se la fait préparer et monter sur place. Il est prêt à sacrifier de la sécurité pour de la légèreté. « Il passe trois jours à se taper tous les forums et en connait tous les détails, les différences entre les séries livrées au début et fin de saison », détaille Thomas Rouault.
De l’autre côté, il y a le skieur venu de l’alpin qui est habitué à une simplicité et une compatibilité totale, n’importe quelle chaussure entre dans n’importe quelle fixation.
Boris Dufour, l’un des quelques testeurs français de la Beast de Dynafit et testeur pour la presse spécialisée, l’explique ainsi :
« avec notre culture alpine, on a l’habitude d’avoir des ensembles normés et l’illusion de maitriser le déclenchement à une valeur donnée. De l’autre côté, le monde de la rando se satisfait du manque total d’information : personne ne peut dire quelle est la valeur de déclenchement d’une low tech à l’avant. Pour ma part, je les verrouille, au moins j’ai une certitude que je préfère à l’incertitude de déchausser de façon intempestive. Si je résume : l’alpin, c’est la simplicité ; la rando, c’est la bidouille, c’est la complexité assumée. »
Cette grille de lecture nous permet de comprendre l’intérêt porté aux fixations légères à déclenchement sécurisé, puisqu’elles sont destinées à réunir ces deux mondes, à satisfaire aux exigences de tous. C’est elle qui cristallise les énergies et les convoitises.
« Cette course à la fixation de sécurité normée a clairement pour but d’élargir le marché en apportant un peu plus de certitude. C’est un pas en direction des skieurs de station que le monde de la rando est en train de faire », estime Boris Dufour.
Qui parviendra à installer un nouveau standard freerando léger et normé ? Qui parviendra à parler aux skieurs alpins, véritable réserve de croissance dans un marché du ski atone ? Qui parviendra à simplifier l’offre ? Qui parviendra à combiner le poids-plume d’une low tech sur skis larges avec une skiabilité précise ? Qui parviendra à apporter de la sécurité ?
Trois fixations semblent répondre à cette objectif oecuménique : la Beast (Dynafit), la TR2 (Trab) et la Vipec 12 (Diamir), trois marques issues du monde de la rando, soit dit en passant. La réalité est bien plus nuancée…
La Trab TR2 assume son positionnement pointu pour randonneur expérimenté puisqu’elle n’est pas normée. La marque italienne l’assume sur son stand de l’ISPO :
« nos fixations de ski ne respectent pas la norme ISO 13992. Elle est recommandée pour des skieurs experts capables d’évaluer la qualité et la fonctionnalité de la fixation ». Ce modèle permet le verrouillage de l’avant ce qui la disqualifie d’entrée pour l’obtention de la fameuse norme.
Deuxième produit, la Beast de Dynafit. Elle n’affiche pas clairement sa non homologation ISO 13992, pire, les fins connaisseurs interrogés ne savent pas qu’elle n’est pas normée ! De là à penser que la marque laisse opportunément planer le doute… Fredrik Andersson, concepteur de la Beast :
« l’édition limitée Beast ne possède pas la norme ISO DIN 13992. Cependant je ne dis pas que la Beast ne passera pas ces tests. La Beast a été conçue avec comme objectifs la performance, la sécurité et le respect de la norme ISO DIN 13992 ».
Décodeur s’il vous plaît.
Reste la troisième fixation, la Diamir Vipec 12, très attendue, pas encore skiée et annoncée comme respectant la norme 13992. Annoncée seulement… car ce n’est pas encore le cas. En effet, la norme se décerne sur des produits issus de la production de série, production qui a débuté le 3 décembre 2013. Il est donc trop tôt pour exhiber la fameuse certification. Antoine Ferrero, distributeur de la fixation en France, explique que
« Diamir ne voulait pas passer à des fixations à inserts sans avoir la sécurité du déclenchement. C’est aussi la fierté de résoudre la quadrature du cercle !».
Autre point fort de la fixation, le réglage de l’entraxe, c’est à dire l’écartement des pointes avant afin afin d’adapter la fixation à toutes les chaussures disposant des inserts low tech, certifiés ou non par Dynafit. Un bon pas en avant vers une simplification et, surtout, la promesse qu’il est possible techniquement de réconcilier les exigences des deux mondes de l’univers freerando. Ce serait une étape capitale dans l’évolution de cette pratique.
A ce jour cependant, ni la Beast ni la Vipec ne sont certifiées TÜV. Pendant ce temps, Salomon et Marker préparent l’ISPO prochain (fin janvier 2015 à Munich), avec leur propres solutions…