Matériel light : un argument de poids ?

Un bonus pour tous les skieurs

Aujourd’hui, la légèreté apporte un bénéfice indéniable au plaisir de skier. Il suffit de regarder comment marche un skieur encombré de ses skis et de ses bâtons, tentant de basculer d’un angle à l’autre sur ses chaussures qui sont plutôt des boites à coins carrés. Maintenant, chaussez-le d’une paire de randonnée, avec un mode marche accompagnant la foulée et une semelle grip : la démarche est tout de suite plus agréable et naturelle. Idem sur la neige. Le ski léger sera plus facile à manier et en fin de journée, n’entamera pas son capital physique. Enak Gavaggio le résume ainsi : « Monique, 55 ans, elle aime bien le ski mais elle n’a pas une grosse condition physique. Aujourd’hui, elle peut entrer dans un magasin et trouver des chaussures de 1,5 kg, louer des skis qui font le même poids avec des fixations légères. Du coup, le ski pour Monique est devenu vachement plus cool ! Parce que si elle doit se déplacer dans la station, de son logement aux pistes avec les skis sur le dos, eh bien le light devient un vrai bénéfice ! Et pourtant elle ne fait pas de rando Monique, mais grâce au matériel, elle peut skier et garder de l’énergie pour le dancefloor ! »

Jeff Audierne est vendeur (et randonneur passionné) au magasin Terre de Montagne de Ville-La-Grand. Il confirme : « aujourd’hui, même les skis destinés au grand public sont allégés. Prends Atomic, ils ont allégé leur gamme Vantage qui est leur gamme all mountain (leur chaussure alpine Hawx met également en avant l’argument de la légèreté). La course au light est déclarée ! On met un noyau bois léger, on vire le titane et on entoure cela avec des chaussettes carbone. La légèreté est un bénéfice pour tous les skieurs, et pas seulement pour les randonneurs… et sans perte de skiabilité. Peut-être qu’un expert va trouver une différence, mais pour le vacancier qui vient skier une semaine, qui va louer ses skis, il n’y en aura pas. Tu retrouves cet argument de la légèreté dans tous les milieux sportifs, comme le vélo par exemple : alléger sans altérer les performances ». Evidemment, cela ne va pas sans un inconvénient : le prix.

« Tu allèges de 30% ton ski et tu allèges ton porte-feuille de la même proportion ! », ajoute Jeff.

S’il fallait désigner un expert de la légèreté, un pape du light, ce serait sans aucun doute Pierre Gignoux. L’ancien compétiteur travaille depuis des années avec du carbone pour alléger la foulée des randonneurs. Orienté vers la compétition, son savoir-faire s’applique maintenant aux randonneurs sans dossards. « Parmi mes clients, j’en ai une dizaine qui ont plus de 70 ans. Ils sont venus me voir parce qu’ils n’ont plus la même forme physique qu’avant, ils ont des problèmes de hanches, mais ils veulent continuer à faire les mêmes randonnées. Du poids en moins, c’est une vraie solution pour eux ! A côté du modèle compétition, nous avons dans notre gamme un modèle plus polyvalent. Cette année pour la première fois, j’ai vendu autant de l’un que de l’autre. Avant, j’équipais à 80% des compétiteurs, dorénavant c’est 50/50. C’est en train de basculer. Il faut faire fi des aprioris et essayer ! Notre chaussure a toujours été cataloguée compétition mais les premiers à avoir été équipés n’étaient pas des stars du ski-alpinisme (comme Laetitia Roux, ndlr) mais mes parents ! La limite n’est pas dans la pratique, elle est plutôt dans le prix… ».

Quand on se tourne vers les skieurs pros, les grosses cuisses, les ex-freeriders devenus freerandonneurs assumés, le discours sur la légèreté est une nouveauté.

« J’ai toujours skié avec des pompes race, des étaux, aujourd’hui je skie avec des Vulcan (Dynafit, ndlr) et j’ai la même efficacité », estime Mathieu Navillod. « Si on me demande d’aller faire un géant avec, j’irai ! Je peux sauter une barre, elle tient le choc. Je la trouve supérieure à la plupart des pompes alpines… je pourrais aussi citer la MTN de Salomon. Victor (Galuchot, ndlr), pointilleux sur ses chaussures, qui a toujours skié avec des modèles racing, est sur des MTN et il en est très heureux. Cela fait trois ans que je n’ai pas rechaussé de l’alpin ! A l’ENSA pour passer le moniteur, je me suis retrouvé avec des purs alpins, j’étais le seul avec des chaussures rando aux pieds. J’ai terminé major de promo pour les démonstrations (pas de l’écrit, hein !). On ne peut pas dire que ça ne marche pas ! ».

Cédric Pugin, solide skieur de Derby et amateur de pente raide, est un tailleur de ligne droite qui ne peut pas laisser trembler sa spatule ni hésiter sur un appui. Le matos doit être irréprochable.« Au début je me disais : prends du matos un peu plus lourd pour aller plus vite à la descente. Maintenant, j’ai du matos léger tous les jours ! J’évite la fatigue car tout ce que j’économise est utile (pour prendre le sac d’un client qui galère, je peux remonter et redescendre pour ceux qui sont à la traine, etc.). Avec la légèreté tu es beaucoup plus rapide, tu peux enchainer les descentes et les montées, tu es dans la logique d’un alpiniste qui grimpe léger parce qu’il a une grosse journée. Les touristes n’auront plus l’impression d’avoir les deux jambes plâtrées quand ils marchent ! Maintenant, il faut que ce matériel soit banalisé par les marques, disponible en location et mis en avant par les vendeurs. »

Un équilibre à trouver

Mathieu nuance cependant en dessinant des limites à l’exercice de la légèreté : «  mon ski de rando fait 170 cm de long. Oui je peux faire des virages de slalom, oui je peux tailler des droites, mais si je skie vraiment vite je ne suis plus en sécurité et si je prends un plomb, le ski explose. Avec un ski light, tu peux quasiment skier à la même vitesse et être presque aussi efficace, mais moins en sécurité. J’ai vu Cédric Pugin tirer des droites de l’enfer avec ses skis de rando et ses pompes légères, mais il n’est ni à l’aise, ni en sécurité. Il ne faut pas passer sous un certain poids. » On a effectivement vu des skis freeride allégés casser en compétition, la structure étant forcément moins résistante.

De plus, tout le monde ne s’appelle pas Kilian Jornet pour tirer des droites de météore pendant la Pierra-Menta avec ses Minim ultra-light !

La randonnée moderne est un univers de compromis, de placement de curseur sur une échelle aux extrémités incompatibles. On ne skie pas de la même façon avec du matos léger, il faut intégrer ce paramètre dans sa gestuelle, dans son choix de ligne. « Ce que je trouve intéressant dans le ski est justement l’adaptation », complète Mathieu. « Avec du ski léger, il faut skier plus en souplesse, tu as une meilleure flexion de cheville, plus d’absorption. Certes, tu skies moins vite mais tu peux quand même y aller ! Mes skis font 1 kg, tout comme mes pompes, et je peux skier vite… mais il ne faut pas essayer d’aller grapiller encore des grammes. Il faut trouver le bon ratio pour ne pas avoir des chaussures plus performantes que les skis par exemple. Les meilleurs conseils viennent de quelqu’un qui t’a vu skier. Et puis ne pas partir avec du matos trop haut de gamme tout de suite, il faut y aller crescendo ».

D’ailleurs, le dernier cru de matériel 2019, vu à l’ISPO début février dernier, calme le jeu quant à la course à la légèreté. Les fabricants visent le bon poids pour la bonne pratique, en assumant des compromis. Chez Rossignol, à propos de la chaussure de freerando AllTrack LT, on parle même de « juste poids » pour caractériser le compromis indispensable entre performance/sensations et poids.

Julien Régnier, rider et développeur de ski chez Black Crows, le résume ainsi : « Quand je skie pour découvrir, je prends du matos rando. Quand je skie pour shooter, je garde mon matos alpin traditionnel. Il m’arrive de remettre mes securafix. Je préfère m’emmerder à la montée sur des petits dénivelé et avoir le bon matos à la descente. La légèreté c’est très bien, mais je skie en conséquence, j’adaptes mon style… et je prends les risques en fonction. Tu peux te faire plaisir avec du matériel léger, mais les produits traditionnels restent plus agréables. Es-tu prêt au compromis ? Les passionnés d’un sport veulent du matos optimisé, même s’ils ne l’utilise pas à 100% de ses capacités ».

Pas de formule magique

La légèreté poussée à l’extrême donne des résultats aussi cocasses que pointus, comme ce modèle Worldcup Verticalp de chez Fischer. Il est précisé sur le côté que ces skis ne doivent pas être skiés à la descente ! Des poids de 10g dans une glissière permettent d’ajuster l’équilibre. Evidemment, ce ski n’est pas destiné à tout le monde, mais il souligne par l’absurde que

la course au light n’est pas la réponse à toutes les problématique du randonneur moderne.

Ce n’est pas une formule magique. En revanche, cette recherche du poids diminutif, cette chasse au gramme, apporte une nouvelle façon d’envisager le matériel et de faire mentir les idées reçues et les vraies habitudes. Un ski large peut-être léger. On peut randonner avec 105 mm sous le pied sans avoir la sensation de trainer des enclumes à la montée et en se garantissant un vrai plaisir de glisse à la descente. On peut skier sur une piste bleue comme une piste noire avec des Procline d’Arc’teryx, pourtant conçues pour une niche d’utilisateur : les alpinistes faisant des approches en randonnée à ski. On peut se faire un dimanche en station avec des chaussures Gignoux. On peut envoyer de la courbe bien appuyée sur neige compacte avec un ski d’1 kg seulement.

Et ne croyez pas ceux qui vous dirons que c’est impossible : essayez !

« Un modèle all-mountain alpin léger, je trouve ça bien », complète Jeff Audierne, « car le client novice va poser une fixation Kingpin dessus et ce ne sera un achat qu’il utilisera en alpin sur piste et en rando. Aujourd’hui, un ski à 95 mm au patin peut-être vendu sur un mural rando comme sur un mural alpin. Certaines marques travaillent déjà comme ça, par exemple Dynastar avec sa gamme Cham, depuis deux ans il n’y plus que le Cham Mythic qu’on vend aussi bien en alpin qu’en rando ».

Sans se laisser guider par les mirages de la légèreté à tout prix, reconnaissons que le ski avance, change et apporte plus de facilité sans perdre de vue la performance. Il faut le tester pour le croire. C’est exactement ce qu’avaient amené dans les années 90 les géométries paraboliques et dans les années 2000 les spatules au relevé progressif « rocker ». Pour une fois, ce n’est pas une innovation que le ski aura piqué au snowboard !

Article initialement paru dans le hors-série rando de Montagnes Magazine en décembre 2016, et mis à jour suite à l’ISPO 2018.

Crédits photos : ©Marc Daviet, ©On est pas que des collants, ©Mathis Dumas, ©Guillaume Desmurs