Une liberté d’aller et venir qui connaît des restrictions.
Si le principe fondamental demeure le choix de quitter librement la foule qui évolue sur les pistes, de fuir les remontées mécaniques et la neige parfaitement damée, les contraintes de faible enneigement à certaines périodes, conduisent les adeptes du ski de randonnée à emprunter les pistes. Il est alors impératif de vérifier si la pratique consistant à remonter les pistes ouvertes est autorisé ou non par l’arrêté municipal spécifique régissant la sécurité du domaine skiable.
Il faut bien entendu, coordonner au mieux, les flux « montant » et « descendant » sur les pistes, dans le cas d’une telle autorisation, afin de ne pas créer un danger ayant un caractère anormal ou excessif du point de vue des deux catégories de pratiquants. Certains n’hésitent pas à « ignorer » l’arrêté municipal d’interdiction, conscients certainement que la présence d’éventuelles forces coercitives est peu réaliste, et que l’établissement d’un procès-verbal à leur encontre n’est pas effective : qu’ils sachent cependant que leur responsabilité civile et pénale pourrait être engagée à l’égard des tiers avec lesquels ils entreraient en collision, lors de leur montée sur une piste normalement dédiée à la descente…
Plus dangereuse encore est l’utilisation des secteurs fermés, particulièrement, dès la fermeture des pistes en présence probables d’engins de damage qui effectuent un travail nocturne. L’existence de câbles attachés à des treuils représente un danger réel. La fermeture du domaine skiable répond à un impératif de sécurité que doivent respecter les pratiquants de fin de journée, voire de nuit.
L’instauration des parcours sécurisés serait certes envisageable en fonction de la configuration de chaque station, mais encore faut-il qu’un tel parcours puisse séduire les adeptes d’une pratique dégagée de toute contrainte. Si l’espace est suffisamment enneigé, le temps moins compté, le ski de randonnée va logiquement s’exercer loin des pistes. Pour autant, il n’existe pas de zones de « non-droit »
Le déclenchement d’une avalanche peut-être à l’origine de responsabilités
Pour la sécurité de chacun, les services des pistes, le PGHM et les CRS de Montagne renouvellent fréquemment leur appel à la prudence lorsque le manteau neigeux est instable. Loin des espaces aménagés, le droit ne s’impose que dans des circonstances particulières.
Lorsqu’un accident concerne plusieurs personnes impliquées, la recherche des causes à l’origine de celui-ci nécessite de déterminer qui était responsable du groupe. En présence d’un professionnel, organisateur de la randonnée, la question sera évidemment vite résolue. Mais qu’en est-il en dehors de ce cas-là ?
Cette question a été clairement posée dans le contexte particulier d’une avalanche mortelle survenue en Suisse en dessous du col du Grand Saint-Bernard, lors d’une sortie réunissant des personnes en ski de randonnée et en raquettes. Le ministère public du canton du Valais (Suisse) avait considéré que la personne chargée de l’encadrement de la sortie n’avait, en réalité, aucun ascendant réel sur le groupe et ne disposait pas d’un niveau supérieur aux autres membres, chacun ayant la capacité d’analyse de la configuration des lieux et des risques encourus (ordonnance de classement sans suite du 12 mars 2013).
Les victimes ont alors saisi le tribunal de grande instance de Bonneville qui a rappelé que les alpinistes, les skieurs ou randonneurs qui conviennent de faire ensemble une ascension en terrain de montagne acceptent de prendre en charge les risques que cette entreprise comporte pour la vie et l’intégrité corporelle de chacun d’eux. Il est dès lors impératif de rapporter l’existence d’une faute dans le choix de la course, l’absence d’analyse des données nivo météorologiques, la présence d’équipement en matériel de sécurité, et le défaut d’observation du terrain pendant la sortie. En l’espèce, aucune faute n’a été retenue en l’absence d’une personne ayant « ascendant » sur les autres (jugement du 4 décembre 2014).
Il apparaît donc fondamental de procéder, avant toute sortie, à une check-list sur les points de sécurité rappelés par les juridictions.
Déclenchement d’une avalanche et conséquences sur les tiers
Une règle d’or doit être rappelée : il faut toujours vérifier la présence éventuelle de tiers en aval, avant de commencer sa descente sur un terrain hors-piste non sécurisé.
Le tribunal correctionnel d’Albertville a eu l’occasion de rappeler ce principe, à l’occasion d’une avalanche déclenchée alors qu’un groupe se trouvait en aval. La principale faute reprochée aux skieurs, à l’origine de cette avalanche, reposait moins sur le fait d’avoir déclenché ladite avalanche, que d’avoir amorcé sa descente sans contrôler son aval. Lors de l’audience le tribunal s’est référé avec précision à la vidéo qui avait été prise par l’un des membres du groupe, qui démontrait que de l’endroit où la descente a été amorcée, le groupe de skieurs se trouvant en aval était parfaitement visible. Le tribunal retenait donc que « ce défaut de contrôle, qui est une donnée élémentaire en termes de sécurité lors de l’évolution en terrain hors-piste, constitue, à lui seul, une faute laquelle suffit à retenir la responsabilité (pénale) » (décision du 10 octobre 2013).
Mais qu’en est-il si l’avalanche déclenchée ne blesse pas les skieurs en aval mais se trouve cependant à l’origine d’une mise en danger d’autrui ?
Avalanche et mise en danger d’autrui
Souvent évoquée dans les médias, la notion de mise en danger répond à des règles strictes sur le plan pénal. Il s’agit du « fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement -peines prévues : un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende. »(article 223-1 du code pénal).
Les conditions sont donc particulièrement restrictives et très souvent la preuve d’une « violation manifestement délibérée » fait défaut dans la poursuite pénale. Il faut cependant souligner un arrêt de la Cour de cassation du 9 mars 1999 : après avoir provoqué une avalanche sur une piste interdite par un arrêté municipal pris pour la sécurité des skieurs. Mais, deux jours plus tard une nouvelle avalanche était déclenchée et la coulée passait à proximité d’un groupe de skieurs. Compte tenu de l’information du risque maximum d’avalanche, et alors que le secteur était barré par une corde et que des panneaux d’interdiction réglementaire étaient mis en place, avec au surplus une mise en garde du personnel des pistes, l’infraction de mise en danger d’autrui était retenue.
Cette décision doit inciter à la plus grande prudence et au respect des arrêtés municipaux, et surtout des skieurs qui se trouvent en aval : la liberté doit aussi se conjuguer avec le respect de l’intégrité physique d’autrui.
Rien ne vient faire obstacle à la contemplation des grands espaces dès lors qu’un minimum de règles juridiques sont respectées pour la sécurité d’autrui, et sa propre sécurité.
Texte : Maurice BODECHER
Avocat au Barreau d’Albertville, co-auteur de « Carnet Juridique du ski »CERNA 2017 et intervenant du Big Débat.
Photos : ©Recco