C’est une petite équipe, un couple en réalité, dont les aventures nous tiennent à coeur. Carole et Boris ont l’énergie et la volonté des aventuriers. Ils ont discrètement préparé leur année de ski de pente raide et de rando autour du monde. Pas de sponsors en fanfare, pas de webserie coûteuse, pas de boisson énergisante dans leurs bidons, en revanche : de la passion à revendre et l’envie de croquer les montagnes dont ils rêvent depuis des années !
Après un début d’aventure sur les pentes européennes, ils ont pris la direction de la Géorgie, pour abandonner leur précieux camion et prendre l’avion pour la seconde partie outre-Altlantique de leur périple. Rattrapons le temps perdu avec l’Alaska, le Pérou (et son Huascaran en one push) et l’Asie centrale.
L’Alaska nous porte chance. Pour une fois, on peut dire que la chance nous sourit du début à la fin ! Nous avons pu faire 15 jours de ski sur nos 18 passés au camp. Nous sommes déposés le 1er mai sur la west fork de Ruth glacier et y établissons un camp pour 10 jours. Un endroit sauvage et peu skié, entouré de montagnes spectaculaires. Nous découvrons chaque jour un nouveau couloir en mixant versant nord et versant sud et terminant souvent par des longueurs en glace ou par des arêtes alpines.
Chanceux, on a pris le dernier avion pour Talkeetna le 18 en fin d’après-midi avant trois jours de pluie ! De la poudreuse parfaite pour des lignes un peu techniques : c’était au delà de nos espérances !
Anchorage/Seattle, Seattle/Las Vegas, Las Vegas/Mexico, Mexico/ Lima nous voila ! Après un peu plus de 30 heures de voyage et quelques escales au coeur du Pérou, c’est le dépaysement total : klaxons intempestifs, pollo et empanadas… Nous sommes bien en Amérique du Sud ! Nous retrouvons Laurent, le plus épicurien des guides de France, tout droit venu de Tignes, notre meilleur atout pour la bonne humeur en toutes circonstances.
Nous passons deux jours à flâner dans la capitale avant de prendre le bus pour Huaraz, capitale de ‘’l’andinisme’’, situé à 3000 m d’altitude. Nous optons pour une acclimatation express : taxi jusqu’au Lago Llaca 4500 m pour 2 nuits en bivouac, effort zéro, mal de crâne garanti ! Puis 2 jours à Huaraz et nous chargeons les mules direction la vallée d’Ishinca. Le lendemain, nous chaussons pour la première fois nos skis sur les terres Péruviennes et atteignons le sommet de l’Ishinca situé à 5600 m. La poudreuse fait place à la glace vive du glacier mais le paysage est grandiose et suffit largement à notre bonheur : un sommet d’acclimatation parfait !
C’est au bivouac, tous à l’abri sous une grotte, par une après-midi pluvieuse que nous faisons la connaissance avec les jeunes guides suisses des Grisons : Gianki, Beno, Leo et Curdin. Nous ne les quitterons plus pendant les quinze prochains jours ! C’est toujours agréable de partager des moments en montagne à plusieurs et d’entretenir l’amitié franco-suisse.
Une bonne nuit de sommeil au camp de base et nous repartons cette fois-ci sans mule et bien chargés pour le ‘’moraine camp’’ du Tocclaraju à 5530 m d’altitude. Réveil à 3 heurs de matin avec pour objectif la cote 6032… La face sud, très esthétique pour le ski mais absolument pas en conditions cette année, nous oblige à emprunter la voie normale qui sera finalement une très belle récompense.
Après un dernier ressaut vertical, nous foulons notre premier 6000 m de cette aventure de 12 mois d’hiver.
La météo est parfaite, la vue est magique sur la Cordillère Blanche. Après un rappel de 60m qui nous permet de négocier la longueur raide et la rimaye, nous pouvons chausser nos skis. Après quelques passages raides à négocier, mais jamais bien extrêmes, nous pouvons profiter du cadre grandiose et très contrasté mêlant neige, glace, désert et lacs turquoises.
Retour au bivouac pour plier rapidement le camp : nous sommes attendus par les cusquena et surtout par Emeline et Flavien, des amis en vadrouille au Pérou !
Après avoir passé trois jours à nous refaire tranquillement la cerise à Huaraz, c’est une petite bambée collective qui s’organise pour aller tenter le sublime Artesonraju. Pyramide parfaite pour tout skieur de pente raide et emblème de la Paramount, c’est donc refaits à neuf que nous rejoignons la maison du garde du barrage tenue par le chaleureux Lopez qui nous offrira le gîte et couvert.
Départ tranquille le lendemain avec nos amis suisses, Laurent ainsi qu’Emeline et Flavien porteurs de luxe pour l’occasion. Direction : le moraine camp à 4700 m ! Le soir, la pluie écourte rapidement la soirée, un lyophilisé ingurgité et nous filons nous coucher. Dodo…
Départ plus que matinal à 2h30, dans la nuit noire… Nous négocions bien le cheminement dans les moraines pour rejoindre le glacier mais nous en perdons rapidement tous les bénéfices en nous fourvoyant dans les crevasses profondes. Une bonne heure perdue et nous finissons par arriver à retrouver une route un peu plus facile.
Nous abandonnons les Suisses qui passent par l’arrête est et rejoignons le pied de la face sud-est. Sauf que nous ne sommes pas vraiment au bon endroit et gaspillons, de nouveau, une petite heure. La neige est profonde et la trace difficile. Après quelques crevasses contournées et surtout beaucoup d’énergie dépensée, nous gagnons la rimaye un peu entamés physiquement.
Une jolie longueur de mixte nous permet de rejoindre la pente qui conduit au sommet. Nous la remontons au rythme effréné de 150 à 200 m de dénivelé par heure ! Kilian accroche-toi, on arrive ! Cette trace d’escargot est fastidieuse à faire avec une petite croûte gelée en surface puis cassante et sans cohésion en profondeur qui promet une descente de rêve !
Après quelques heures nous arrivons au pied des 100 derniers mètres, les plus techniques. La neige s est transformée en glace et le haut de la face est très raide cette année à cause des faibles précipitations. Le cheminement pour sortir au sommet est un peu compliqué et le vent et les nuages ne nous facilitent pas la tâche. Nous trouvons un passage à droite de la face au milieu de beaux séracs d’un incroyable bleu translucide. Ils ne sont pas trop menaçants alors nous nous faufilons et grimpons quelques passages à 90 degrés. L’ambiance au milieu de ces édifices de glace suspendus à 6000 m d’altitude est à la fois effrayante, irréelle mais le moment est magique, comme un instant brut, un diamant non taillé.
Nous rejoignons finalement le sommet après 11 heures d’efforts. Nous sommes juste au-dessus des nuages, fatigués mais heureux.
Une courte pause et nous chaussons les skis après un peu de désescalade et un rappel de 60 mètres. L’altitude, la neige bien glacée, le brouillard bien épais, la pente à 50° et surtout des jambes bien lourdes nous contraignent à skier avec la plus grande lenteur… en mode : deux virages une pause, deux virages une pause… Après 700 m, nous arrivons enfin à bout des difficultés. Un petit rappel et une jolie sortie entre les séracs nous permet de rejoindre le bas du glacier. Emeline, Flavien et Laurent, inquiets de ne pas nous voir, sont rassurés en nous voyant apparaître dans le brouillard. Optimistes comme d’habitude, nous avions annoncé la veille un retour pour les 10 h du mat ! Il est 16h30. Ca fait 14 heures que nous sommes partis ! Le lendemain, direction Huaraz pour être à l’heure à la soirée du samedi soir au Tambo. Timing parfait!
Après trois jours de farniente bien mérité dans la casa de la célèbre Zarela, nous quittons Laurent qui monte dans son bus pour Lima et nous reprenons la route des montagnes. Les conditions sèches de cette année nous limitent dans nos objectifs. Nous nous décidons pour la voie normal du Huascaran. Ce n’est pas la plus belle mais c’est bien la plus haute de la Cordillère Blanche à 6768 m d’altitude.
Une première tentative nous mène jusqu’au camp 1 à 5400m, mais un mal digestif aigu vient contrarier nos plans et nous oblige à redescendre. Remise à niveau gastrique à Huaraz suivi de longues hésitations quant à la suite du programme : surf et soleil au Pacifique ou une nouvelle tentative au Huascaran ? Après 3 jours de réflexion, nous optons pour la montagne. L’une des décisions les plus difficile à prendre depuis le début du voyage !
Nous repartons donc direction Musho à 3000 m d’altitude, point de départ du Huascaran. Mais au cours de la longue approche, nous modifions un peu notre stratégie d’attaque, l’envie il faut bien le dire d’en finir le plus rapidement avec cette montagne nous motive à tenter l’ascension en one push.
Au bout de 2000 m de dénivelé, nous faisons une petite pause au moraine camp pendant 5 heures et repartons à minuit. L’itinéraire, cette année, entre le camp 1 et le camp 2 est très tortueux : il faut passer des ponts de neiges très fins, grimper, contourner des crevasses.
Nous arrivons à nous frayer un chemin tant bien que mal dans la nuit et dépassons le camp 2 à la levée du jour. Nous atteignons la dernière pente qui mène au sommet.
Bien fatigués, nous remontons les 400 premiers mètres à moitié en glace avant de venir buter dans une crevasse à l’ampleur démesurée et au franchissement impossible. Le verdict et sans appel dans le jargon : on appelle ça un but ! Il y a sûrement un passage beaucoup plus à gauche dans les séracs mais trop exposé. Après 3400 m de dénivelé gagné, il ne restait plus que 350 m pour rejoindre le sommet…
Nous nous laissons glisser sur le glacier très tourmenté du Huascaran et profitons de l’ambiance des séracs menaçants en plein jour cette fois. C’est finalement mieux la nuit quant on ne voit pas! De retour à Musho après 24 heures de marche, nous rejoignons le refuge du Huascaran pour une nuit tout confort !
Une dernière nuit à Huaraz, une petite après-midi de vélo de descente dans la Cordillèra Negra et nous reprenons nos bagages. De nouvelles montagnes nous attendent : cap sur le Kirghizistan !
Ça a pas été facile au niveau logistique, mais nous avons pu rejoindre le Kirghizistan et le pied du Lénine : des dizaines de taxis utilisés, du temps dans les transports… un bien long parcours ! Heureusement, à Och, nous faisons la rencontre salvatrice de la jeune Aizada (à peine 16 ans mais déjà prête pour tenir une agence de voyage) qui nous a bien aidé. Nous avons manqué de temps sur place (seulement 5 jours) pour aller au sommet et bien nous acclimater. Nous avons pu cependant rallier le camp 3 à 6100 m. Difficile d’aller plus haut… Le lendemain, fatigués, nous faisons demi-tour à 6300 m en sachant que nous n’aurons pas le temps pour une autre tentative.
Notre objectif était ambitieux, nous avons malgré tout tentés mais l’altitude nous a vite rappelé à l’ordre ! C’était une bonne acclimatation cependant. Nous revenons au Tadjikistan, à Dushanbe, puis rejoignons Djirgital et décollons pour le camp de base de Moskvina glacier situé entre les deux 7000 m du Tadjikistan dans le Pamir que nous convoitons : le Korjenevskaya et le pic Ismail Samani (ex pic du Communisme).
Un petit échauffement sur la belle pyramide du Chetiroch à 6290 m nous permet de profiter d’une belle descente en poudreuse et surtout de repérer notre bel objectif. Après une petite journée de repos nous sommes tout de suite repartis, voulant profiter du créneau de beau temps, de l’absence de précipitations et de la chaleur des derniers jours qui a bien stabilisé le manteau neigeux. C’est une grande pente en face sud exposée aux risques d’avalanches où il est rare d’avoir des conditions de neige assez solides pour l’envisager. Apres deux camps pour rejoindre son pied, nous avons pu en découdre avec elle. Antécime du Korjenevskaya c’est une face de 1200 m qui sort a 6940 m entre 40 et 45 degrés. Nous avons rencontrés des conditions incroyables pour du ski en haute altitude.
De retour au camp, laissons passer la perturbation et repartons tenter le pic Somoni à 7495 m avec 3 jours de nourriture dans les sacs. La météo donnait une semaine de beau, mais malheureusement après une première belle journée où nous avons pu rejoindre directement le camp 3 depuis le camp de base, les choses se sont un peu gâtées ! Notre réchaud nous lâche: impossible de faire de l’eau et donc impossible de continuer. Nous sommes obligés d’attendre une journée au camp 3 l’arrivée d’autres cordées et par chance des Russes disposent d’un petit réchaud de secours qu’ils nous prêtent gentiment. 56 grammes de pur puissance pour faire fondre de la neige à un rythme effréné d’un peu moins un litre par heure… Faut pas avoir trop soif ! Ca nous permet au moins de continuer.
Le temps se dégrade également. Nous montons le lendemain dans le brouillard au camp 4 à 6600 m d’altitude. Nous patientons 2 jours et demi sans manger mais le beau temps annoncée n’arrive toujours pas. Cela fait 6 jours que nous sommes partis et nous ne pouvons plus patienter… Nous tentons le sommet dans le mauvais temps mais au bout de 300 m nous devons abandonner : le vent, la neige et le froid ont eu raison de nous.
Nous redescendons dans la foulée au camp de base et profitons d’une neige poudreuse sur l’éperon Borodski.
Un peu frustrés de ne pas avoir pu fouler le sommet de ce 7000 m, nous en conservons de bons souvenirs et surtout, une leçon : nous aurions dû prendre un peu plus de nourriture pour réussir car le beau temps a débarqué 2 jours après !
Apres encore 3 jours de repos, l’idée de retenter est vite oublié car l’accès du pied de la face pour rejoindre le camp 1 est très exposée aux chutes de séracs (nous avons même eu une bonne petite alerte). Direction donc le fond de la vallée pour installer un camp et tenter une ligne technique sur un sommet probablement encore vierge. Malheureusement, il a beaucoup de neige tombée les derniers jours et, le lendemain, après avoir brassé de la neige jusqu’à mi-cuisse, nous sommes contraints de faire demi-tour : les risques d’avalanche ne sont plus acceptables !
Heureusement, il n’est que 6h du matin et nous avons le temps d aller explorer une belle arrête qui sort sur un joli sommet à 5700 m. On profite encore d’une superbe descente à ski jusqu’au camp de base. C’est au moins ça ! Nous patientons encore deux jours au camp, finissons nos vivres et, après un régime de pâtes-ketchup pendant 28 jours, l’hélico vient nous récupérer. Un peu de repos et nous prenons la direction du Shishapangma…
Texte et photos : Carole Chambaret et Boris Langenstein