Vanessa Beucher est allée rencontrer Mattia Fogliani, splitboarder et surfeur passionné de glisse, dans les Alpes Suisses pour un séjour où les conditions de neige ont permis d’appréhender la montagne de manière différente.
Vanessa Beucher est allée rencontrer Mattia Fogliani, splitboarder et surfeur passionné de glisse, dans les Alpes Suisses pour un séjour où les conditions de neige ont permis d’appréhender la montagne de manière différente.
Février 2020. L’hiver suit son cours et j’ai envie de m’accorder une escapade de quelques jours depuis la Grave. Chaque saison hivernale, je me fais une joie de découvrir un massif montagneux dans une nouvelle contrée. C’est donc suite à l’invitation de Mattia Fogliani, snowboardeur installé dans le Tessin suisse, que je décide de prendre la route depuis les Écrins en longeant les Alpes italiennes par le sud. La journée touche presque à sa fin lorsque j’arrive à Biasca, charmante petite ville où il réside. Paysages de montagnes et habitat traditionnel défilent sous mes yeux dans les derniers rayons du soleil. Le mois de février arrive quasiment à son terme mais il règne déjà une douceur printanière sur tout le massif alpin.
La Suisse ou le pays de montagnes par excellence… Au cours de ces dernières années, j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’explorer certaines de ses régions à skis, notamment le Valais par le biais de mon amie suisse Estelle. Que de souvenirs de sessions mémorables à Verbier où il n’arrêtait pas de neiger ou bien encore à Arolla dans le Val d’Hérens, un fond de vallée entouré de sommets imposants d’une beauté sauvage stupéfiante. Mais je n’avais jamais eu l’occasion de m’aventurer plus vers l’est du pays. Le Tessin suisse affiche à cet égard une identité bien particulière, résolument tournée vers l’Italie. La langue, l’architecture, le climat généreux, beaucoup de choses évoquent une ambiance plus méditerranéenne. Il n’abrite pas en son sein les sommets les plus emblématiques de la nation helvète mais les paysages n’en restent pas moins superbes, et les options en ski de randonnée ou splitboard sont légion. Et ce n’est pas Mattia qui dira le contraire ! Ayant grandi dans la région, ce passionné de glisse explore en splitboard depuis de nombreuses années les montagnes qui l’entourent. Il ne ressent pas forcément le besoin de prendre l’avion pour chasser la poudreuse à l’autre bout du monde. Mattia se définit comme un mountain surfer qui vit selon les cycles naturels des saisons. Les lignes tracées avec son snowboard pendant l’hiver feront place l’été à des courbes dessinées sur l’eau de la Méditerranée avec sa planche de surf. Dans le décor épuré de sa maison, il me montre avec enthousiasme sa collection de splitboards et de planches de surf. Toute une vie de glisse qui tient sur ces murs ! James, Filippo et Florian, amis de longue date et compagnons de glisse de Mattia, ne tardent pas à nous rejoindre. Confortablement installés autour du feu, nous discutons de ce que nous envisageons de faire ces deux prochains jours. Il faut aller chercher la neige dans les parties hautes car dans les fonds de vallées, c’est le vert qui l’emporte. Ce n’est pas le premier hiver sans froid constant ni enneigement abondant que nous vivons ces dernières années. On n’a pas le choix, il faut s’adapter ! Nous optons pour nous rendre dès ce soir à une quarantaine de kilomètres au nord de Biasca en direction du tunnel du Saint-Gothard.
La nuit est tombée sur les quelques fermes perchées au-dessus du village d’Airolo qui distillent une savoureuse odeur de fromage. Nous trouvons à nous garer près de l’une d’entre elles et finissons de préparer nos sacs. Nous nous enfonçons bientôt dans la forêt sombre… Seul le bruit de nos peaux frôlant la neige vient perturber le silence qui règne. Qu’il est fascinant de s’orienter à la lueur de nos frontales qui nous guident pas à pas. Les sens sont aiguisés et nous avons pleinement conscience de la nature qui nous entoure. Il nous faudra près de trois heures pour monter à une cabane quasi enfouie sous la neige, dans un paysage aux allures fantomatiques que l’on devine à peine. Il fait incroyablement doux, on se croirait partis pour un raid à skis printanier alors que nous sommes à peine à la moitié de l’hiver… Le refuge ressemble à un cocon illuminé par la nuit étoilée. Après avoir avalé un bon plat de pâtes, on passe un moment à regarder les cartes pour repérer les lignes possibles du lendemain. Pizzo Massari, Pizzo Castello, Pizzo Campo Tencia : des sommets d’environ 3 000 mètres d’altitude formant une sorte d’amphithéâtre autour du refuge. Nous sommes dans le coeur des Alpes lépontines, massif situé dans la partie centrale des Alpes à cheval sur la Suisse et l’Italie. L’isotherme zéro degré est assez haut ces jours-ci, ce qui n’est pas sans poser certaines questions : bien choisir le degré de pente, opter pour une orientation en neige de printemps ou pas… Le lendemain matin, les premières lueurs du jour dévoilent progressivement un superbe paysage. Nous mettons les peaux et nous élevons petit à petit. Montagnes et vallées s’étendent à perte de vue, formant un fantastique patchwork de reliefs et de couleurs. À un certain moment, nous décidons de constituer deux groupes : Mattia, Filippo et Florian se donnent pour objectif de descendre un couloir tandis que James et moi allons faire quelques photos sur une pente avec en toile de fond une ligne de crête assez esthétique. Vite réchauffée par les rayons du soleil et une absence de regel nocturne, la neige est tellement lourde que James fera plusieurs tentatives avant de pouvoir prendre assez de vitesse pour envoyer un virage digne de ce nom. Nous rejoignons finalement Mattia et les autres au refuge, qui nous donnent un retour identique. Même dans un couloir qui échappe largement au soleil, la neige était loin d’être évidente à rider. Période insolite d’un hiver anormalement chaud…
Nous redescendons sur Airolo par le même itinéraire que la veille, serpentant parfois avec difficulté à travers le couvert forestier. Nous arrivons à nos véhicules presque plus fatigués de la redescente dans la forêt que de notre randonnée dans la partie haute ! La neige s’est en effet bien alourdie au niveau du couvert forestier. J’ai toujours une appréhension dans ce type de terrain car c’est dans ces circonstances que je me suis blessée au genou il y a quelques années… Point faible des skieurs dans cette qualité de neige… James et Florian doivent repartir sur Zurich tandis que Mattia, Filippo et moi réorganisons nos affaires et mettons le cap sur une autre vallée qui fait le lien avec les Grisons, région la plus orientale de la Suisse. Pour cela, nous revenons sur Biasca et mettons cap au nord vers les villages d’Acquarossa et de Blenio. Mattia est particulièrement attaché à cette zone sauvage située à deux pas de chez lui. Enfant puis adolescent, c’est au coeur de ces paysages qu’il a découvert la montagne et a développé un attachement très fort à l’environnement qui l’entoure. Après avoir atteint une prairie d’altitude en contrebas du Piz Medel, nous garons le van de Mattia dans lequel nous allons passer la nuit tous les trois. Pas besoin de gros duvet car encore une fois, le froid sera aux abonnés absents cette nuit-là. Le lendemain, une autre belle journée ensoleillée nous attend. Après avoir pris un copieux petit-déjeuner, nous remontons en peaux une forêt avec de superbes essences de conifères et atteignons un plateau entouré de hauts sommets tels que le Piz Terri et le Piz Aul. Plutôt que de chercher à dévaler des pentes car la neige est malheureusement bien croûtée, nous nous dirigeons vers une zone parsemée d’intéressantes windlips, fruits du travail du vent sur la neige. La virtuosité et le sens de la courbe de Mattia entrent alors en scène : vêtu d’un chapeau de pêcheur et d’une chemise d’été, il s’élance et glisse tout en fluidité sur ces vagues de neige. Filippo tente de faire de même mais pas avec autant de succès… Il est le premier à reconnaître qu’il n’a pas le sens de la courbe de Mattia. Une autre fois, la randonnée que nous pensions effectuer dans cette zone laisse place à autre chose. C’est comme ça, il faut savoir s’adapter aux conditions du moment et prendre le meilleur de ce qu’il y a… Nous redescendons plein gaz sur la voiture et savourons un moment notre thé au soleil. Nous finissons par enlever les couches une à une et nous retrouvons bientôt en tee-shirt…
Une fois revenus sur Biasca, nous profitons des derniers moments de la journée pour faire une session de boulder dans la forêt située juste au-dessus. Yannick, le fils de Mattia âgé de deux ans, est aussi de la partie et s’essaie timidement sur le bas des rochers. Quelle chance pour lui de pouvoir grandir dans cet environnement et de bénéficier dès son plus jeune âge d’un contact rapproché avec la nature. Mais ces quelques jours passés ensemble nous auront fait nous poser pas mal de questions. Sa génération aura-t-elle la chance de connaître ce que nous avons connu ? De pouvoir encore s’émerveiller devant la beauté d’un épais manteau de neige en hiver, source de joie pour les passionnés de glisse que nous sommes et élément essentiel pour l’équilibre de notre environnement ?
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