Notre trip avait commencé par une arrivée à la tombé de la nuit et tout juste assez de lumière pour apercevoir les montagnes, à mesure que nous avançions dans la vallée de Valbona, située au nord-est de l’Albanie à la frontière avec le Monténégro au nord et le Kosovo à l’est.
Nous sommes scotchés : les montagnes sont massives et majestueuses avec de grandes faces très raides, des grosses dents et de magnifiques couloirs descendent directement dans cette vallée encaissée.
Il est temps de déposer nos sacs dans cette ferme isolée du fond de la vallée située avant le village de Rrogam. Mes sentiments sont partagés entre la beauté de ce massif sous les étoiles et l’austérité de cette ferme sans lumière isolée dans les montagnes albanaises. Le propriétaire réchauffe l’atmosphère avec un gros diner, un banquet plutôt tellement la nourriture est abondante sur la table. Il nous explique que la vallée devient de plus en plus touristique en été car de nombreux étrangers viennent faire des treks. Mais en hiver les lieux sont occupés uniquement par les locaux et leurs bêtes.
Le lendemain, nous partons sur la rive sud de la vallée avec l’espoir d’atteindre un des sommets qui nous fait face. Un repérage la veille au soir nous a fait miroiter le fort potentiel du coin mais aussi de son coté très alpi. Les conditions sont printanières et la météo doit se dégrader. La marche d’approche, même skis aux pieds, est longue. Quelques kilomètres à plat dans le fond de vallée puis nous suivons un chemin forestier, seul issue à travers cette forêt de bouleau très dense.
Apres 2h30 et seulement 300 m de dénivelé, nous sortons enfin des bois. Nous avons alors une meilleure vision du terrain. Nous optons pour un couloir étroit repéré depuis notre départ. Plus de 1000 m en amont, nous enlevons les peaux pour attaquer, skis sur le dos, droit dans le couloir. La pente est raide, environ 45º, mais nos appuis s’enfoncent bien, nul besoin des crampons ni des piolets. Nous sommes partis 5 heures plus tôt et le mauvais temps arrive de plus en plus fort. Il est temps de redescendre en vallée pour le repas et skier les 1500 m que nous avons monté. Mais le couloir nous réserve quelques surprises : la neige n’a que très peu d’accroche. C’est lisse, raide et en forme de cuvette.
Malgré le goût prononcé pour la pente raide de certains d’entre nous, le ski est loin d’être évident. Nous ne prenons pas de risque et nous descendons en quelques virages sautés entrecoupés de longs dérapages. Les secours sont loin, le premier médecin est à l’entrée de la vallée et ici personne ne skie ou ne serait capable de faire un secours à ski. Arthur, notre photographe est un excellent skieur mais diminué par un problème sur sa fixation, il descendra par précaution en crampons et piolets tout le couloir ! La fin du run se fait sous la pluie sur des pentes plus douces.
Après un festin et du repos à la ferme, nous repartons à ski en direction de notre prochain village. Les montagnes du Valbona ne possèdent pas de refuges ni de cabanes en altitude, nous logerons de nouveau chez l’habitant. 200m de dénivelé sous la pluie et quelques kilomètres plus loin, nous découvrons aux pieds d’un vallon ce petit hameau. Bienvenue à Kukaj, hameau de 3 maisons et 2 familles et beaucoup de moutons. Flori sur son vélo paraît surpris de nous voir débarquer dans son village et part chercher son père, Tahir, chez qui nous devons rester pour plusieurs jours. Apparemment il n’a pas été prévenu de notre arrivé et est un peu déboussolé, tout comme nous. La situation devient loufoque ! Nous avons beaucoup de mal à nous faire comprendre puisque nous n’avons aucune langue commune : Tahir ne parle qu’Albanais et les seuls mots que nous baragouinons sont bonjour, au revoir et merci. En attendant plus d’explications de la part de son intermédiaire et que tout se solutionne, il nous offre spontanément l’hospitalité auprès du poêle.
Nous voilà, ramené dans le passé de nos grands-parents, dans une Albanie profonde et très rurale. Tahir, sa femme Lindita et leur fils Flori vivent en semi autarcie en hiver. Leur hameau, situé à 1150 m d’altitude, est sous la neige jusqu’en avril et le premier village, Valbona, est à plusieurs kilomètres en contrebas. Ils vivent avec leurs bêtes : vaches, chevaux, poules… et ne se déplacent que par nécessité avec les chevaux quand les conditions le permettent, sinon à pied. Flori, lui, est scolarisé au village de Valbona et fait les allers et retours tous les jours. Grâce aux rencontres de touristes en hiver, il a apprit à skier… ou tout du moins se déplacer à ski.
Certains lui ont fait parvenir du matériel pour qu’il s’exerce et qu’il puisse descendre à l’école plus facilement. Le retour se fait à pieds, skis sur l’épaule. La vie dans cette contrée reculée et enneigée nous paraît, à nous autres occidentaux suréquipés, difficile, voire compliquée. Pour autant la famille de Tahir respire la joie de vivre et la simplicité. Partager leur quotidien est facile, sincère et vivant, et ce malgré la barrière de la langue. Tahir, à la carrure imposante, est de nature avenante et joyeuse. Il faut juste ne pas le taquiner avec le Raki et oser ne pas finir son verre… sinon c’est une tournée supplémentaire pour tout le monde !
La situation géographique de Kukaj nous permet au premier jour de beau temps de randonner sur les flans nord du vallon en direction du Monténégro et d’effectuer une boucle aux pentes douces autour de la frontière. Un soleil de plomb réchauffe très vite nos 1000 m de montée. Il nous faut vite atteindre les faces nord qui tombent coté Monténégro. La vue depuis le col sur les sommets et cette haute vallée du Monténégro où les montagnes n’ont rien à envier à celles de leurs voisines albanaises, est magnifique. Apres quelques virages poudreux mais illégaux puisque nous n’avons aucune autorisation de passage, nous remontons sur le second col pour rebasculer sur l’Albanie.
La neige colle sur la face sud qui nous ramène chez Tahir. Il est temps de savourer la fin d’après-midi au soleil et au milieu des bêtes.
Le belvédère depuis la frontière nous a permis de bien planifier les prochains jours et notamment d’observer de plus près tous les magnifiques couloirs au fond du vallon de Kukaj ainsi que l’accès au second plus haut sommet d’Albanie : Mt Jezerces.
Les cartes de la météo ont été de nouveau rebattues, nous empêchant de suivre notre plan. Le Mt Jezerces sera la conquête d’un futur voyage. En attendant, on se rabat sur la partie basse de ce sommet et sur les fameux couloirs du fond de Kukaj. C’est probablement le plus beau spot des environs : un labyrinthe de couloirs très esthétiques et raides mais qui ne s’enchainent pas tous. La pluie s’étant transformé en neige, c’est sous un soleil radieux et la banane aux lèvres que nous entamons la dernière partie de notre trip.
Le terrain de jeux est merveilleux mais les conditions de neiges sont surprenantes et nous plongent dans des situations assez inédites. Une forme de cristaux que nous ne connaissions pas et des sections de pentes glacées sur des zones exposées, nous incitent à la plus grande prudence et à revoir nos projets à la baisse. La déception n’est pourtant pas de mise : nous dévorons avec le plus grand plaisir chaque instant que nous donne cette belle montagne et ces gerbes de poudreuses au milieu des couloirs de Kukaj.
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Climat :
Le climat est méditerranéen sur la côte mais dès que l’on s’enfonce dans les terres on retrouve un fort climat continental. Il neige abondamment en hiver surtout à l’est du pays. La meilleure période de ski se situe de mi-janvier à mi-mars.
Logistique :
Pour organiser la logistique et notamment les hébergements dans la vallée de Valbona, une seule adresse : www.outdooralbania.com.
Gent, le boss de l’agence, parle Français couramment. Il n’est pas guide UIAGM mais tout l’été il parcourt les chemins de montagne, il connaît très bien les possibilités à ski de son pays et des pays voisins.
Texte : Timy THEAUX
Photos : Arthur BERTRAND
Riders : Timy Theaux, Quentin Lombard, Benjamin Gerard-Grosso, Alex De Leymarie
Remerciements : Outdoor Albania, Tahir et sa famille.