-Explique-nous le contexte de cette expédition de 6 semaines (dont 25 jours en mer) à partir de Santiago-du-Chili ?
-Pour les 100 ans de l’aventure de Shakleton (c’est un héros, il a sa statue à Londres), l’idée du chef d’expé franco-américain (Luke) était de nous emmener sur les îles d’Elephant et de Géorgie. Il y avait dans l’expédition deux aventuriers britanniques (David et Justin), deux deux soldats britanniques mutilés, une scientifique et Géraldine. Le point d’orgue était la Géorgie et sa traversée en ski de rando sur les pas de Shakleton (la Géorgie marque la fin du périple de Shackleton et de ses hommes qui, après avoir perdu leur bateau dans les glaces, ont rejoint la minuscule de île de Géorgie en canot de sauvetage à travers les 50è hurlants et trouvé refuge dans une base baleinière, ndlr).
On pouvait faire quelques ouvertures et sommets, un peu de pente raide (le sommet de l’île est à 2900m). On a eu un faux départ, on a pris une tempête le premier jour, la météo est tellement imprévisible dans l’intérieur des terres, ce qui nous a donné le temps d’explorer en rando d’autres sommets plus proches des cotes où on pouvait rider même par mauvais temps. Finalement, routés par Yan (Giezendanner, ndlr), on savait que ça ne se lèverait pas de la semaine, donc on est allé à la base officielle de Gridviken, on a fait un sommet à côté. Ensuite on est repartis et on a réussi la traversée en rando, 40 km environ en trois jours. Shakleton avait mis 36 heures avec ses hommes, sans skis, en glissant sur les fesses dans les pentes… C’est assez plat mais il faut vraiment de bonnes cartes ! Pour comparer, le centre de la Géorgie c’est le massif du Mont-Blanc, alors que sur les bords c’est le massif des Aravis… et le tout entouré d’océan.
-Vous aviez fait, avant, un crochet par les îles Sandwich ?
-Oui, pour rider un volcan, une première sans doute. C’est l’un des coins les plus reculés, des plus hostiles où je sois jamais allé. Là tu te dis : « je suis loin »… A 7 jours du port le plus proche, et ce port, c’est sur l’île des Falklands, elle-même à deux jours de l’Argentine… On a ridé sur du béton armé, pas raide heureusement, la neige ne tient jamais elle se transforme en glace immédiatement. Le capitaine du bateau nous avait dit : « quand vous descendrez on vous entendra d’ici »… et il avait raison !
Il y a tout à faire là-bas, des dizaines de sommets inexplorés…
-Comment est la neige ?
-Le sommet près de Gridviken par exemple, on a eu de la poudreuse jusqu’à la mer, quand on l’a refait, la neige était transformée, pelée et avec des cailloux, ca va tellement vite avec le vent ! Avec le vent permanent j’étais persuadé qu’on allait trouver des plaques à vent… en fait c’est stable, la neige est tellement chargée de sel que ça tient. J’étais en splitboard, une planche que m’avait prêté Régis Rolland ! Elle était rouillée à la fin… et les fringues, complètement trempées, j’ai fini le trip en ciré.
-Comment abordes-tu la rando dans ces coins-là ?
-On s’est fait avoir en distance de plat, tu te dis dans 30 min j’y suis… en fait non ! Le rapport vertical/horizontal est très différent, dans les Alpes ou l’Himalaya on a plus de points de repères. Autre truc : les cartes maritimes sont fausses, les cartes de terre aussi, il y a des sommets non nommés, par exemple l’un des sommets qu’on a ridé est introuvable sur la carte, on ne sait pas vraiment lequel c’est… La météo est vraiment différente, les créneau de beau temps sont vraiment super court, par exemple 3 heures pour débarquer, atteindre le sommet et revenir avant que la houle n’augmente et nous empêche de rentrer au bateau. Quand on part 2 ou 3 jours en autonomie avec la pulka, il faut prévoir des plans B si le mauvais temps nous contraint à nous mettre à l’abri dans les baies où la météo est plus clémente et où le bateau de soutien peut venir nous chercher. En fait là-bas tu pars avec une idée de l’objectif, la carte n’étant pas fiable, avec ton GPS dans le brouillard, c’est un jeu de piste, il faut partir confiant, ne pas attendre l’éclaircie sinon tu peux attendre longtemps…
-Quel matériel as-tu emporté pour filmer ?
-J’avais un GH4 (il consomme très peu en filmant par l’oeilleton et il est léger) et la Sony FS 700 (trop lourde pour la montagne). Je rechargeais sur le bateau qui avait un générateur, il n’y avait pas assez de soleil pour utiliser des panneaux.
-Comment résumerais-tu cette expérience ?
C’est un monde à part entière. Je suis allé au Groenland, Baffin, je m’attendais à quelque chose de semblable, en fait pas du tout ! Ce qui m’a frappé, c’est la présence de la faune, tu finis une descente au niveau de la mer entouré de milliers de manchots, d’éléphants de mer, de nuages d’oiseaux… c’est plutôt attachant ! L’autre point fort, c’est qu’il y en a pour tout le monde, tu t’éclates quel que soit ton niveau, c’est tellement dépaysant, les panoramas sont tellement déments que tu te fais plaisir dans des pentes débonnaires comme dans des pentes raides plus pointues… et tu peux même avoir de la bonne neige !
-Bon, c’est combien le prix du billet pour y aller ?
-Il n’y a pas de billet !
Le film sortira en mars 2015.
Photos : Bertrand Delapierre