Ca vous chope le coeur un soir, sans prévenir, avant de dormir : les photos de ces chevelures folles, de ces visages souriants, de ces épaules solides, JP Auclair et Andreas Fransson. On se demande ce qu’ils font là, multipliés sur le mur Facebook ; et puis d’un pouce, on fait glisser l’image et on découvre les mots cachés sous leurs grands yeux de skieurs heureux : Andreas Fransson et JP Auclair, morts.
Ca vous saisi la gorge, depuis l’autre côté de la terre. Une grande main meurtrière a recouvert les deux skieurs, c’est la même qui nous serre la glotte, empêche de respirer.
On les imagine facilement proches l’un de l’autre, dans les derniers cris de panique, dans la dernière suffocation, dans la dernière image du ciel bleu qui bascule et la pente chilienne qui ouvre sa mâchoire.
Les prochains jours, on va lire et relire leurs biographies, on va revoir leurs films (Powder magazine a rassemblé ici leurs deux films les plus cinglants), penser à eux et à Liz Dayer, snowboardeuse morte au même moment, ailleurs, et puis on va penser à tous les autres qui ont disparu dans ces circonstances identiques. Ces deux-là avaient avant tout le bonheur contagieux de skier.
Leur mort est lointaine, froide, hors de portée des caméras, hors de portée des mains amicales, hors de portée des secours. Ils s’enferment dans les Andes, verrouillés dans la neige, comme si les montagnes s’étaient courbées autour d’eux pour les ensevelir et les voila enveloppés dans nos souvenirs.
Que l’on connaisse ou pas personnellement ces skieurs, leur disparition nous touche de façon intime. Ils avaient réussi, par leurs exploits, leurs créations, leur vie tout simplement à modifier le tracé des nôtres, parfois à une échelle minuscule, parfois de façon plus radicale.
Ces skieurs que nous connaissons à peine portent une part de nous-mêmes, nous vivons à travers eux ce que nous sommes incapables de faire, nous leur déléguons le soin d’explorer, d’inventer, de raconter, d’incarner des valeurs. Alors quand ils disparaissent, ils emportent ce que nous avions laissé en eux, petite partie d’âme qui les rendaient bien plus grands que la somme de leurs talents. Andreas et JP emportent un peu de nous-mêmes. Ils laissent en échange – et c’est désormais notre immense responsabilité – un peu d’eux. En nous.
Ca fait mal.
A nous de nous débrouiller avec.