-D’où vient l’idée de ce record ?
-Pendant des années, j’ai repoussé mes limites en rando. J’ai fait 3000 m D+ en une journée en 2001, l’année suivante 6000 m, l’année suivante 9000 et puis 15000 m. En 2010, j’ai accumulé 600 km de D+ dans l’année. Je connaissais donc mon potentiel quotidien, annuel, il me manquait le mensuel ! Ce ne sont que des chiffres bien sûr, mais sous les chiffres se cachent le plaisir de skier ! Mon programme était de skier quatre jours, à 4000 m D+ par jour et de me reposer une journée.
-Racontes tes premiers jours
-La première journée, le 1er mars, je suis monté avec ma famille, mes deux enfants et ma femme, c’était un bon moyen de démarrer. Mon défi était aussi de ne jamais skier deux fois la même ligne à la descente. Je posais donc une trace de montée et variais les itinéraires de descente. Les premiers jours étaient bons, poudreux, mais entre le 6ème et le 9ème, c’était horrible, ça s’est réchauffé et il a neigé. Le ski était mauvais, mes potes ne voulaient pas skier avec moi. J’étais tout seul, sous la pluie. Ca ne pouvait pas être pire. La neige collait sous la semelle et je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même et à mon stupide défi ! Ca s’est arrangé heureusement.
J’étais tout seul, sous la pluie. Ca ne pouvait pas être pire. La neige collait sous la semelle et je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même et à mon stupide défi !
-En plus de la rando, tu as montré un certain talent pour communiquer ?
-Je filmais avec ma Gopro à la descente et j’éditais des petits morceaux de 10 secondes pour Instagram à la montée. Ca m’occupait.
-Tu te sentais comment là-haut ?
-C’était une liberté incroyable. Tu es seul, sans filet de sécurité, tu ne comptes que sur toi-même. Je me sentais chaque jour comme l’individu le plus chanceux du monde ! Je n’écoute pas de musique en montagne, alors pour moi c’est comme une méditation, mêlée à de l’adrénaline pendant la descente, un bon équilibre, c’est ce que j’aime. Il y a la difficulté physique de montée et la récompense de la descente, ce que tu n’as pas en trail running par exemple.
Greg fait tourner sur son écran un rendu 3D GPS de tous ses itinéraires, détaillant du doigt une journée-type. C’est à peu près le nombre de montées et de descentes qu’un skieur normal accumulerait en station de ski, en prenant les remontées !
-Tu montais mais surtout, tu skiais !
-C’était ma motivation principale : skier le plus possible. J’ai skié plus de poudreuse en un mois que dans ma vie entière je pense. Evidemment, j’aurais pu faire plus de 100 km de D+ en utilisant du matériel plus léger et en restant sur la piste, mais je voulais rider ! Je maximisais mes journées, l’oeil sur ma montre, à rajouter des petites pentes à droite à gauche en plus pour allonger mon dénivelé, tu sais comme les chiens en montagne qui courent partout !
-Comment ton corps encaissait-il le choc ?
-Pas trop mal. Je surveillais mes ligaments croisés, j’étais intransigeant sur les étirements, les massages, la relaxation. Je mangeais beaucoup : des gels, des avocats, du beurre de cacahouète, des sandwiches. Bon, c’est clair que le soir je n’étais pas très bavard avec les enfants, mais j’étais juste heureux de les avoir près de moi, allongés par terre pendant mes exercices.
J’étais trop concentré sur mon objectif et j’ai commencé à faire des entorses à mes propres règles de sécurité
-La qualité de la neige n’a pas toujours été au rendez-vous…
-Oui, après le passage de mauvais, je me suis vraiment fait plaisir, c’était incroyable, mais la neige est devenue vraiment instable. Par exemple, sur cette pente, Grizzli, il faut monter dans les cailloux, c’est plus sûr, mais j’étais trop concentré sur mon objectif et j’ai commencé à faire des entorses à mes propres règles de sécurité : je suis monté dans la pente, en zigzags, pour aller plus vite. Il ne s’est rien passé, heureusement, sauf qu’au sommet, sur l’arête, on a pris le temps de discuter de la situation avalancheuse avec un ami et en marchant tranquillement, nous avons déclenché, à distance, une bonne partie de la face… y compris la moitié de mes traces de montée. Je prends ce genre d’incident très au sérieux et à mi-chemin de mon record, j’ai du mobiliser tout ce que je savais de la sécurité en montagne (l’un des métiers de Greg est guide, ndla).
-Tu as eu des frayeurs ?
-Au 22 ème jour, j’ai commencé à fatiguer, à ralentir. A la fin d’une journée avec un groupe, j’ai fait une dernière descente, seul, en poussant un peu plus loin et à la descente, je me suis rendu compte que des gros blocs de neige étaient en mouvement sous mes pieds. J’ai sauté sur un plus petit bloc, puis un autre, mon échappatoire était sur la droite et finalement, en sautant, je me suis retrouvé sur de la croûte stable, sain et sauf. Il faisait presque nuit et j’ai vu l’avalanche dévaler jusqu’en bas de la vallée. Seul en montagne, j’aurais pu y passer, vraiment. Sur le coup, j’étais honteux, moi un père avec deux enfants, prendre de tels risques ? Est-ce-que je dois arrêter ce défi ? Mon corps se sentait bien mais mon esprit ne pensait qu’aux dangers. Une troisième avalanche s’est déclenchée, quelques jours plus tard, alors que nous étions deux à marcher sur le sommet, c’était imprévisible, la montagne entière ne tenait qu’à un fil. Je me sentais devenir chaque jour un peu plus foldingue.
-Tu as tenu le rythme jusqu’à la fin du mois ?
-J’ai baissé sur la fin, je ne parvenais plus à faire 4000 m D+ par jour, j’ai tenu bon. La neige s’est stabilisée et le dernier jour, j’ai voulu terminer par un run magnifique sur lequel j’avais vu Dan Treadway skier il y a des années de cela. 50 cm de poudreuse, c’était incroyable ! Je me sentais enfin libre, ma réserve d’énergie était épuisée. Je n’avais plus de désir.
Je me sentais enfin libre, ma réserve d’énergie était épuisée. Je n’avais plus de désir.
-Et le premier avril ? Qu’as tu fais le premier jour après la fin de ton record ?
-Ecoute, je ne sais plus, je crois que je suis allé skier avec mes enfants, j’ai du boire une tasse de café le matin… il faudra que je demande à ma femme.
-Pourquoi te lancer dans ce genre d’aventure ? Je veux dire, profondément, quelle raison ?
-En partie pour faire quelque chose de ma vie. Le ski est un sport frivole, il n’y a pas d’objectifs précis à part se faire plaisir. Alors ce record était une façon de donner un peu plus d’importance à ce que je fais. J’ai 38 ans, c’est si facile de traverser la vie sans rien faire, la vie est courte, j’en fais le maximum. Et puis j’aime avoir des buts, les atteindre. Un jour quelqu’un skiera 110 km D+ en un mois, c’est certain, mais je peux dire qu’en un mois, en mars 2014, j’ai donné mon maximum et surtout j’ai dessiné le plus grand nombre possible de virages en poudreuse… et quel ski incroyable !
Propos recueillis par Guillaume Desmurs
-How did you get the idea for this record?
-For years, my whole thing was to push my limits, my levels, ever since I’ve been ski touring. I’ve done 3000 m in a day in 2001, the next year I did 6000, the next 9000 m and then 15000. I figured out my daily potential. In 2010, I completed 600 vertical km and I had my yearly limit. So I wanted to maximize what I could do in a month. Fill in the collection! The numbers are only as important as they show how much fun you are having.
-Could you tell us about your first days?
-On the first day, the 1st of march, I skied with my family, it was a good way to start. I carried the skis of my 7 and 8 year old kids. The idea was that I didn’t want to go to the same place twice, it’s more challenging but gives you more explorations. It’s part of the challenge, I had to change everyday. So I put a ski track first thing in the morning and it’s easy for the rest of the day. The first days were ok, with good powder skiing. The 6th to 9th were the worst days of the month : warm and snow. The skiing was bad, my friends didn’t want to stay with me, I was on my own. It was as bad as it can get with rain, the snow was sticking under my sole, I had no one to get mad at except myself and my silly goal! Then it became better.
It was as bad as it can get with rain, the snow was sticking under my sole, I had no one to get mad at except myself and my silly goal!
-You showed a certain talent for communication during your record.
-I filmed on the way down and edit a 10 seconds footage on my way up, to put it on instagram on the spot. It was a distraction.
-How did you feel up there?
-An incredible freedom, with no safety network. The freedom to climb mountains by myself, it’s incredible, you feel like the luckiest guy in the world. In the mountains I don’t believe you should listen to music, so it’s definitely meditation, interspersed with adrenaline on the way down, a good balance, that’s what I like. it’s got this endurance aspect to ski touring, hard and challenging, but you have this reward, skiing powder, it’s exciting. You don’t have the reward in trail running for example, in ski touring the reward is all the time.
Greg zoom in Google earth to show me the GPS path of his runs during one single day. It looks like he was skiing in a ski resort, taking lift after lift.
-Tell us about the powder on the way down!
-My main motivation was skiing! Skiing as much as I could. I did more powder skiing than ever in this month. Of course, you could put your lightest skis, stay on piste all day and do more vertical kilometers than I did, but I wanted to ski. I had Salomon prototype skis, bindings and boots. I maximized the early morning, and ski probably 10 hours a day, not including the drive. I would be like an animal, running everywhere, skiing extra meters going up and down!
-How did your body manage ?
-My body was pretty good. I always have an AT problem, so I was religious on stretching, massaging, relaxing. I ate lots of food, gels, avocado, peanut butter, sandwiches. Every night I wasn’t very social, luckily I have a good family, the kids were just lying on the ground with me as I was stretching.
I started to bend certain safety rules, I was so focused on my goal.
-The snow wasn’t always great…
-After the bad spell, for 5 or 6 days, I was so excited, amazing days, summits, but all that snow was still unstable with avalanche hazard. I started to bend certain safety rules, I was so focused on my goal. On a run called Grizzli, I would normally walk up this section on rocks, it’s safer. But this day I put a skin tracks to make my next lap easier. I never do that. On the second lap, I was talking on the top of the ridge, chatting with a friend, and as we are saying that we should pay attention, one footstep triggers the whole face. It was like a warning. My first run in the morning and half of my skin track got taken out! I take mistakes in the mountain very seriously. I started wondering : Am I being stupid? The avalanche hazard got worse. Suddenly it required all the skills I had developed during those years (Greg is a certified guide, ndla).
-Did you get scared?
-The 22nd day, I was getting tired. I had long term endurance but no speed. At the end of the day, it was almost night, I went up the face for a last run and after two turns, I noticed I was skiing on a big block moving, I jumped onto another smaller block, I knew my escape route was on the right, I ended up on the crust, safe, with the huge avalanche going by all the way down to the bottom of the valley. That was more than a warning, it was really close and I was all by myself in the mountain. Part of me was full of shame : I’m a dad with two kids. There were questions in my mind : should I stop this? My body was felling ok but my mind kept going on about hazard, an unpredictable hazard. I was walking on eggs for ten days after that, everyday I was going a little mad, wondering : am I talking the right decision?
-How did you end up the month?
-In the end, I was falling apart, doing under 4000 m/day. Near the end, the snow got better stability wise and the last day, I skied a special run. I saw Dan Treadway years ago skiing this run and I’ve always wanted to ski it. As a last run of the month, it was truly special and incredible with 50 cm of powder! My goal was done, the relief of having finally skied that last run… I felt free ! My well of motivation was dry, I didn’t have any desire left.
-And the next day, the 1st of april, what did you do ?
-I don’t remember what I did! I’ll ask my wife, I probably drank a cup of coffee or went skiing with my kids.
-Why did you do this ? I mean the deep reason…
-Partly to make sure I do something with my life. Skiing is a frivolous sport, there’s no real point to it there except enjoying. I wanted to give it a bit more importance. I have to make sure I’m getting better, evolving, I’m 38 years old. It’s easy to go through life and do nothing, lots of people do. This is the way I want to spend my time on earth, do as much as I can. I’ve achieved something. Someone will surely do 110 km, but during that month of march 2014, I did as much as I could. I can say nobody has had as much powder in one month, definitely, what an incredible skiing !
Interview : Guillaume Desmurs