Le Yukon, la région le plus au Nord-Ouest du Canada qui en hiver s’apparente à un Far-West blanc où nous serions les pionniers d’une folle ruée vers l’or blanc.
J’ai passé deux semaines au pays des pancakes et des chemises à carreaux, où les loups et les ours sont monnaie courante et où se côtoient motoneige et trappeurs le week-end.
Par Léonard Pierrel.
La première chose qui nous saute aux yeux, c’est le froid… -27°C à l’ouverture des portes de l’aéroport. Tout le monde fait la liste de l’équipement qu’il a. Mais pas d’inquiétude, pour les deux semaines les températures seront comprises entre 0 et -20°C.
On est accueilli par Claude Vallier (YukonBackCountry) qui sera notre guide pour le trip. Cela fait 10 ans maintenant qu’il explore les sommets et couloirs des montagnes de l’Ouest canadien et en a même rédigé les premiers topos de ski du Yukon !
Après une journée à White Horse pour finaliser les derniers équipements et faire quelques courses, nous prenons la direction de Haines Jonction pour trouver notre cabane, la Stellar Hut pour la semaine.
Les collines deviennent des montagnes, se multiplies à perte de vue sur des kilomètres et commencent à nous dévoiler leurs plus belles faces…
Les yeux ne savent plus quoi regarder. Scruter le premier plan pour trouver les animaux des histoires de Claude. S’extasier sur les montagnes de l’arrière-plan. S’imaginer rider des spines dans le dernier Teton Gravity. Ou aller ouvrir ses couloirs rectilignes parfaits jamais ridés…
« Moi je veux ce couloir », « Tu as vu cette face ? », « On peut aller là-bas demain ? »
Tout est démesuré, la taille des chasse-neiges comme les distances… Le long de la route, toutes les montagnes nous donnent envie et chacun y va de son « Moi je veux ce couloir », « Tu as vu cette face ? », « On peut aller là-bas demain ? ». Mais Claude nous remet à notre place rapidement en nous expliquant que pour telle ou telle face, il faut au moins 1 à 2 h de motoneige simplement pour l’approche. Sans oublier de traverser la forêt où il n’y a pas de chemin et traverser une rivière… Et que toute façon, nous n’avons pas de motoneige…
Nous réaliserons donc nos sorties avec des approches à skis directement depuis la route et on ne pourra pas se tromper… il n’y a qu’une seule route.
Et maintenant il faut amener les vivres jusqu’à la cabane à l’aide de grandes luges.
Ici, l’eau est remplacée par de la neige bouillie. Pas d’électricité et les toilettes sèches sont à l’extérieur. Il faudra bien s’habiller pour aller aux petits coins.
L’éclairage et la cuisson se font au gaz et le poêle bois tournera à plein régime, car tout le monde s’amuse à aller couper du bois au fond de la petite grange. Au grand désarroi de ceux qui dormiront sur la mezzanine et suerons la nuit…
Nous voilà donc installés et impatients de commencer à skier. Cette semaine se fera donc autour de « Haines Pass ».
Malheureusement, il n’a pas neigé depuis plus d’une semaine. Mais il va faire beau ! Alors au milieu de cette immensité blanche, si nous grimpons assez haut nous aurons la chance de voir le l’océan pacifique.
Premières traces ! Nous voilà enfin sur les skis, chaussés au bord de la route, déterminés à aller découvrir le glacier qui se cache derrière les montagnes. Après un plat interminable, nous voilà sur le glacier de Nadahini entouré par des cols, des pics, des couloirs, et des faces vierges…
Première montée, nous allons chercher un petit couloir « comme on n’en voit pas chez nous » nous dit Claude. D’une 40aine de degrés entre les rochers soufflés et gelés qui s’apparentent à des meringues, ambiance garantie !
Arrivés en bas, nous avons déjà décidé de remonter. Discussion des anciens sur le meilleur itinéraire de montée, pour arriver en haut d’une face. Bastien s’écarte pour aller chercher une pente derrière une légère arrête. Et là une plaque se déclenche à distance. Pas très grande mais qui glisse jusqu’en bas. Premier jour, premier rappel !
Nous sommes en terrain inconnu, la première ville à 150km, pas de PGHM, pas de réseau…
Il ne faut pas baisser la garde. Après tests et mise en sécurité du reste des pentes, chacun fait sa trace et des cris de joies résonnent sur les pics qui nous entourent… Le trip commence de la meilleure des manières.
Aujourd’hui, nous restons sur le même secteur avec le face Sud de Nadahini. Attirés par les faces vierges et blanches, nous ne nous rendons pas encore compte mais notre itinéraire nous fera faire 12km pour 1100 D+… Mais arrivés en haut, tout est oublié, des montagnes à perte de vue, une neige « moquette » et surtout une face vierge de 1000m D- de 35° homogène, sans un arbre ni un rocher. Un petit paradis.
Nous sommes partis pour les Twin Sisters qui s’apparentent aux faces Est de Nadahini. Nous commencions directement depuis le bord de la route par une montée dans les « arcosses » sur 300m suivie d’un nouveau long plat qui nous laisse le temps de scruter la face dans toute sa grandeur. Malheureusement, arrivés au sommet les nuages nous prennent par surprise et nous obligent à redescendre en face sud, la plus sécuritaire.
La météo annonce du mauvais pour la fin de journée. Nous décidons donc de partir chercher des runs de forêt. Les faces semblables à celles des films de freeride défilent les unes après les autres derrière la vitre du pickup… l’excitation et l’amertume se mélangent : on ne pourra surement pas les rider… Mais la forêt nous fait vite oublier tout ça, nous retrouvons de la poudreuse pour quelques virages avec un profil ultra joueur et évidemment les « pillows » du Canada !
Vent, beaucoup de vent ! Mais pour l’instant nous avons eu de la chance, sur les températures et sur le vent. Alors aujourd’hui, on affronte le grand nord !
Arrivés en haut de la « colline » et aux vues de la gelure sur la joue de fifi, nous devons être sur du 90km/h de vent. On décampe ! mais pas facile de replier ses peaux dans cette tempête…
La descente reste encore une fois un instant magique avec une lumière filtrée par les nuages qui défiles à toute vitesse.
Et arrivés à la voiture, une partie du groupe demande quand même si on ne va pas retourner en forêt pour un deuxième run. Mais demain nous changeons de spot, l’excuse du rangement est utilisée par les plus frileux…
Le 15 février, nous reprenons la route pour passer la frontière de l’Alaska pour aller jusqu’à Haines prendre le ferry. Haines pour moi, c’est comme la capitale mondiale du freeride où toutes les grosses productions viennent faire de l’héliski et où, anciennement, se déroulait une des étapes du FWT (Freeride World Tour). En attendant le bateau, on en profite pour visiter l’atelier de « Fairweather » une petite marque de ski entièrement fabriquée à Haines par deux passionnés, qui vont eux même planter et couper leurs arbres pour les noyaux… Classe !
Il est assez vite l’heure de prendre le ferry qui nous amène en une petite heure à Skagway, toujours en Alaska. C’est ici que des milliers de pionniers chercheurs d’or ont débarqué vers 1897. Et aujourd’hui toute l’économie est basée sur ce tourisme historique l’été mais ne compte que 600 habitants l’hiver. Nous dormirons donc dans le seul hôtel ouvert à cette époque.
Chaque jour, nous passons la frontière, pour retourner skier au Canada, à une 20aine de kilomètres. Les montagnes y sont plus fournies car à l’abri du vent du Pacifique. Et avec cette distance on perd 10°C en moyenne. Au fur et à mesure des passages, même les douaniers s’inquiètent sur la qualité de nos randos.
Taiya face sud, « l’approche sans fin : le retour ! » : 10km pour 1300m D+ mais encore une fois, pour notre plus grand plaisir. D’ailleurs on croise un groupe de canadiennes venues se « balader » en ski de rando, notre première rencontre de skieurs !
Le groupe se divise en deux pour réaliser deux couloirs parallèles dans les meringues, le vent souffle, ambiance encore garantie. Celui-ci s’ouvre finalement sur une vaste face à 35°. Mais avec Bastien, nous décidons d’aller cherche un couloir plus pentu et plus serré repéré à la montée. Malheureusement pour nous, la neige est « cartonnée »… La clef c’est de ne pas appuyer ses virages, pas facile avec des 188 dans une goulotte de 2m de large.
Nous finirons tard, mais en profitant du coucher de soleil rose pour revenir à la voiture, magnifique !
Gris, vent : un bon but comme on dit, malgré les 800m D+ réalisés, le moral des troupes est en baisse, la neige est dure presque gelée, le top est encore loin et on devine un vent fort sur la crête… Tant pis, on se fera secouer à la descente et on ira se balader sur la plage… Toujours en doudoune…
Enfin ! Il neige !! Mais la grisaille nous empêche de trouver un bon spot pour rider.
Dernier jour. Il est temps de rentrer à White Horse pour prendre l’avion. Mais évidemment nous ne sommes pas encore rassasiés et nous avons encore envie de de skier.
Nous nous arrêtons donc sur la route pour un run d’au revoir. En forêt parce qu’il fait encore gris… Mais au fur et à mesure de la montée, le temps s’améliore nous offrant un beau soleil et une vue imprenable sur un lac gelé et les montagnes alentours.
Il a neigé 20cm de fraiche, de quoi finir le trip sur une très bonne note !
Merci Canda !! Merci Claude !!
Yukon, il est certain que l’on se reverra, mais pour une plus longue période, une expédition avec un campement au milieu du Parc National de Kluane, où il existe encore des faces où aucun ski n’a été posé et où le temps semble s’arrêter.
Mais cette fois plutôt en mars – avril, quand la neige sera bien installée et la faune plus disposée à nous montrer sa diversité.
Crédits photos : © Alan Lemasson, Léonard Pierrel
