Par Alex Comas.
En avril 2019, nous sommes cinq à partir dans les Alpes de Lyngen en Norvège : Simon, Vincent, Johan, Romain et moi-même, Alex. Nous nous connaissons tous depuis longtemps et avons l’habitude de sortir régulièrement ensemble en ski de rando dans les Pyrénées depuis quelques années maintenant. Parfaitement conscients des risques et dangers liés à la pratique hivernale de la montagne nous avons déjà tous participé à une ou plusieurs formations en nivologie et gestion du risque d’avalanches.
Cela fait déjà trois jours que nous profitons des conditions de rêve norvégiennes : poudreuse légère et profonde, belles éclaircies et paysages incroyables…
Aujourd’hui la météo est incertaine, le beau temps est annoncé pour la matinée mais une perturbation devrait rapidement pointer le bout de son nez. Nous avons décidé la veille de partir sur un itinéraire situé non loin de la maison et relativement court, pour être rentrés avant le mauvais temps. Au départ, l’approche depuis le bord du fjord est fastidieuse car elle nécessite de se frayer un chemin à travers une végétation dense et une neige croutée. Je sens que j’ai les jambes lourdes et je ne prends aucun plaisir pendant cette approche. En sortant de la forêt, la neige infâme laisse place à une petite couche de poudre tandis que nous apercevons notre objectif : un sommet modeste qui offre plusieurs possibilités de descente dans de jolies combes à environ 30°– 35°.
Nous remarquons rapidement que le vent a soufflé fort dans le secteur et que la neige légère s’est accumulée dans les endroits abrités. Nous décidons donc de changer notre itinéraire de montée pour rejoindre le sommet, bien qu’une partie du groupe ne soit pas convaincue par ce changement de plan. Au fur et à mesure de l’ascension je me rends compte que la neige est sans cohésion : une structure de plaque est en place et cède à chaque conversion.
Pour le moment rien d’affolant : c’est peu épais (5 à 10cm tout au plus), la pente est faible et nous ne sommes pas exposés. Il faudra quand même prendre en compte tous ces signes lors de la descente. Le groupe étiré est emmené par l’infatigable traceur, Simon et ses trois poumons, pendant que je ferme la marche, un peu dans le mal et ne cessant de penser à la perturbation qui nous menace.
Je suis agacé : on est loin les uns des autres, personne ne se parle, la trace devient trop raide, je ne vois plus le premier, et ce vent froid… ça ne se passe pas comme ça d’habitude !
Je mets cet agacement sur le coup de la fatigue et je finis par rejoindre les autres à l’antécime, où la vue est magique avec cet immense fjord sous nos yeux. Le sommet que nous visons est encore à une bonne heure et je fais remarquer que la perturbation a commencé à accrocher les sommets voisins. Si nous continuons nous risquons de descendre dans le jour blanc. La suite de l’itinéraire donne très envie de s’y aventurer pour faire du beau ski comme les jours précédents mais nous hésitons. Certains veulent aller au sommet, d’autres ne savent pas trop et sont prêts à suivre tandis que je préfèrerais faire demi-tour pour profiter de la météo encore correcte.
Après quelques hésitations, nous renonçons au sommet et décidons de redescendre par l’itinéraire de montée. Tant pis ça ne sera pas LA sortie du trip mais au moins on aura pris l’air. Il fait très froid, le vent souffle en rafales, la neige commence à tomber… bref on ne s’éternise pas là-haut. Le groupe s’éclate rapidement : Simon s’élance pleine balle dans la pente, suivi de Romain qui fait une pause au milieu, rejoint peu après par Johan. Vincent et moi fermons la marche pour faire quelques photos de la descente. La neige est poudreuse à souhait sur une trentaine de cm mais on aperçoit par endroits les effets du vent et les cailloux qui ressortent. Après quelques clichés, j’entends Romain un peu plus bas qui crie « plaque ! ».
A ce moment-là tout s’enchaîne : je me rends compte que nous sommes tous dispersés, je ne vois pas ce qu’il se passe en dessous (ampleur et localisation de l’avalanche), je ne sais pas qui s’est fait prendre, Vincent au-dessus de moi n’a pas entendu et j’aperçois Simon en tout en bas qui commence à remonter…
Je comprends que Johan s’est fait prendre, j’informe rapidement Vincent qu’une plaque est partie. Romain me crie qu’il voit Johan et je lui demande d’y aller de suite. Vincent se met à l’abri tandis que je descends prudemment pour voir la zone de l’avalanche. Par chance la plaque est de faible ampleur (cassure d’une vingtaine de mètres sur 30cm d’épaisseur) et seul le haut de la combe est parti. J’aperçois une trentaine de mètres plus bas Johan en surface qui tente de se relever. Arrivé à sa hauteur, il n’est pas blessé mais tout de même bien choqué par ce qui vient de lui arriver.
Le stress redescend, nous reprenons nos esprits et nous redescendons vers Simon, 200 mètres plus bas sur un vaste plateau. Une colère immense m’envahit soudain : comment avons-nous pu ignorer tous ces signaux d’alerte ?? Cette plaque, c’est un cas d’école : du vent, des accumulations dans les combes, de la neige fraîche, une couche friable à la montée et nous ne trouvons rien de mieux à faire que nous y engager ! Le haut forme une pente convexe avec une rupture de pente idéale supérieure à 30° sur quelques mètres… bref le cocktail idéal pour une avalanche.
Au regard des conditions du jours on a vraiment eu de la chance car c’est l’ensemble de la combe qui aurait pu partir et la situation n’aurait pas du tout été la même. Plus de peur que de mal mais on est passé à deux doigts du drame !
Nous arrivons à la voiture dans un silence de plomb, personne ne parle contrairement à d’habitude où chacun déconne.
Nous en profitons pour faire une heure d’exercices DVA où l’on passe à tour de rôle à rechercher des sacs enfouis dans la neige.
Une fois rentrés à la maison, nous décidons de faire un débriefing de ce qui s’est passé. Je me pose en animateur et demande à chacun de s’exprimer sur ce qu’il a vécu le matin même : penses-tu que nous avons commis des erreurs ? qu’avons-nous fait de bien ? quel est ton ressenti ?
Nous passons à tour de rôle sans s’interrompre ni émettre de jugement sur ce que dit l’autre. L’exercice n’est pas facile mais la confiance s’installe et chacun s’exprime librement pendant que je note les remarques. Cet exercice nous fait prendre conscience de toutes les erreurs que nous avons commises et la liste est longue ! Le plus déroutant dans tout ça vient du fait que c’est une situation accidentelle classique dont nous connaissons tous les signes avant-coureurs. Voici la liste de nos principales erreurs :
Ce débriefing a mis en évidence que l’accumulation d’erreurs aurait pu être fatale et le plus bête dans tout ça vient du fait que nous connaissions tous ces erreurs et étions persuadés de ne pas les commettre ! Sauf que l’habitude de sortir entre copains combinée à l’excitation du voyage et de la neige parfaite nous a fait oublier tous nos principes de sécurité, rétrogradant ainsi notre expérience de la montagne en hiver au stade de « débutant » ! Pour terminer, la communication entre les membres du groupe est certainement le point le plus essentiel à retenir. Communiquer, c’est se mettre d’accord sur l’itinéraire, exprimer ses peurs, ses doutes, son avis, son état physique… mais aussi rigoler et partager de bons moments !
Quel que soit votre niveau en ski de rando, ne laissez pas vos habitudes et l’excitation prendre le dessus sur votre sécurité.
Crédits photos : © Alex Comas
