Vivian Bruchez est un feu follet comme on en a peu vu depuis Marco Siffredi. Chevelure blonde en moins, une planche en plus, Vivian ouvre et découvre une nouvelle façon de faire du ski de pente raide. Il modernise cette version verticale du ski, cette quête de la neige impossible, de la pente interdite, de l’emotion de glisse inédite en s’appuyant sur les anciens, car « derrière chaque première, se cache une histoire ».
Il avait commencé à faire parler de lui en skiant quatre fois la face nord de l’aiguille du Midi (devant les caméras de Seb Montaz). Quatre fois dans la même journée ! Et puis on l’a revu dans le film « T’es pas bien là » (du même Seb Montaz) à se marrer dans des couloirs mortels, à jouer avec la gravité et les limites de l’adhérence humaine, à sautiller dans les cailloux, à la cool. Aujourd’hui, il a les honneurs de la page portrait de Libération et entouré de ses potes (Kilian Jornet) et de ses modèles (Anselme Baud et Pierre Tadivel), il écrit un nouveau chapitre dans l’histoire du ski de pente raide.
–Que veux-tu apporter à l’histoire du ski de pente raide ?
-L’inclinaison de la pente a toujours fait partie intégrante de la vision et de la performance des anciens. Je suis différent. La pente la plus engagée, la plus raide ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est trouver une ligne, imaginer des trucs nouveaux, trouver une descente relativement logique, en utilisant le moins de rappels possibles, depuis le sommet. Mon vrai truc nouveau, j’ai l’impression que c’est le dry ski, le fait de pouvoir de descendre où tu utilises la corde normalement. Skier sans utiliser d’artifices, il faut vraiment trouver sa ligne.
« L’échange entre les disciplines provoque l’évolution »
Ma nouveauté, c’est aussi ce que me donnent les gars avec qui je skie aujourd’hui, Kilian Jornet en premier lieu. Il m’apprend la légèreté et la rapidité des manipulations. Et puis l’évolution c’est aussi les transferts entre les pratiques. J’ai beaucoup regardé le film sur Marco Siffredi, il mettait une grosse barrière entre le freeride et la pente raide alors que je pense que le freeride apporte beaucoup à la pente raide et inversement. Des gars comme Xavier De Le Rue et Sam Anthamatten amènent par exemple la vitesse dans les faces très raides. L’échange entre les disciplines provoque l’évolution.
-Tu penses que la pente raide est moins confidentielle aujourd’hui ?
-On est peu nombreux à faire de la pente raide, c’est vrai. Depuis une quinzaine d’années, c’est dans l’ombre du freeride. Pourtant, j’ai l’impression que ça revient, vraiment. Tous les bons freeriders qui ont fait le tour de la question reviennent à la haute montagne. Sur Chamonix, il y a une énergie incroyable autour de la pente raide, notamment sur la face nord de l’Aiguille du Midi.
Downside Up (T’es pas bien là ?) English Subtitles – Trailer from sebastien montaz-rosset on Vimeo.
-Qu’est-ce qui te plaît dans ce terrain de jeu vertical ?
-Ma première vraie pente raide, c’était avec Christopher, le fils d’Anselme Baud. On était partis faire de la rando et on tombe sur Anselme qui nous dit : « je fais un bout de couloir dans les Aiguilles Rouge ». Voilà, je me suis senti bien dès les premiers virages, je me suis dit : « c’est ça que je veux faire ». Ca ne s’explique pas ! Pourtant ce n’était pas du grand ski, des petits virages sautés, mais j’ai adoré.
Je suis un skieur assez technique, je suis entraineur de ski alpin, et pour moi la pente raide, c’est rechercher des choses que je n’ai pas senti avant. Par exemple avant de partir au Denali avec Seb Montaz et Kilian Jornet, il fallait que je m’entraine, alors après mes journées de boulot, le soir je montait en rando sur la piste des Grands Montets, je redescendais dans les couloirs de Lognan, par nuit noire avec des skis en carbone, les chaussures ouvertes, à la frontale, parfois je l’éteignais même ! Je me poussais dans un endroit facile, je me faisais plaisir alors que c’était un entrainement, je devais m’adapter à la neige, aux skis, m’équilibrer avec les chaussures ouvertes. C’est comme ça que je me fais plaisir.
Cette année, j’ai ouvert trois nouveaux itinéraires dans le massif du Mont-Blanc, au dessus de chez moi, dans le bassin d’Argentière où c’est ultra fréquenté. On est absorbé par les grosses montagnes, les grosses lignes alors qu’à coté il y a des pépites, de petits bijoux.
Et puis il y a toujours des histoires derrière les descentes, surtout pour les premières. Une première en ski de pente raide ne vient pas de nulle part : soit tu as fait des repérages, soit des anciens t’en ont parlé. La traversé des aiguilles de Chamonix, une première, était une idée de Stéphane Dan (guide et ancien pro skieur, ndlr) et c’est l’une des choses les plus esthétiques que j’ai skié. Je m’inspire beaucoup des anciens.
-La randonnée est essentielle à tes déplacements en montagne…
Mes parents sont passionnés de randonnée et mon père me dit cela depuis que je suis gamin : « la peau, c’est l’avenir ! ». Mes parents sont très traditionnels : sac à dos monstre lourd, chaussure à quatre crochets, skis étroits. L’évolution, elle est claire dans le matos : les skis sont plus large et offre une bonne skiabilitée, du coup les sorties à la journée s’envisagent avec un sac léger, à chacun son dénivelé et sa pratique mais l’essentiel est de partager un bon moment en montagne. Je skie avec maxi 85 mm sous le pied, et cherche à rider la majorité de mes lignes au départ de sommet… Chaque descente ou journée est pour moi une nouvelle aventure et une nouvelle expérience, je suis profondément attaché à l’esprit montagnard. Mes clients pour la pente raide sont suréquipés, ils connaissent parfaitement le matos de rando, enfin sur le papier… C’est dans l’esprit actuel de la société : on a skié toutes les pistes, on a fait le tour des stations, maintenant on va monter un peu, faire les choses par nous-même, entre potes, avec le goût de l’effort, se retrouver en montagne. C’est ça la rando.