Par Arthur Lachat.
Imaginez : jeudi, 18h30. Vous êtes seul au milieu d’une foule bigarrée et quasi hystérique au rayon ski du Vieux Campeur. Face à vous, un jeune homme, l’air affable, vous parle avec de grands gestes. Il porte des chaussures à semelles Vibram, un t-shirt « Derby de la Meije » et une barbe fournie en plus d’un anneau argenté à l’oreille. Lui, c’est le vendeur. Il débite six termes techniques à la seconde et use de l’argot du skieur à tout bout de champ :
« Ah non mais là y’a pas à y couper, ce qu’il vous faut vu votre niveau d’exigence, c’est un ski au rocker extra long, gros patin, un cambre bien prononcé pour que ça tienne et de la rigidité ! Avec une machine comme l’Opinion Extrem 108, vous allez kiffer, à fond dans la traffole, grandes courbes dans la peuf ! Pour envoyer du gros, y’a pas à tortiller, cette bécane c’est une machine de guerre! Je l’ai testé pour le shop : faut savoir tenir sur ses jambes parce que si vous les skiez pas, c’est eux qui vous skient c’est sûr, mais du moment que vous appuyez dessus, ça réagit au quart de tour. Ça c’est grâce à la construction en sandwich, on fait pas mieux niveau flex. »
Vous n’avez rien compris ? Pas de panique, voici les conseils de l’expert !
Comme le dit très justement notre aimable vendeur, les skis sont faits pour être skiés ! Drôle de lapalissade, me direz-vous, mais qui prend très vite tout son sens quand vient le choix fatidique du matériel. La question à se poser est en fait : par qui ces skis devraient être skiés ?
La première étape, certainement la plus difficile, consistera donc à bien vous observer, à vous jauger, quitte à vous juger. Une épreuve qui vous demandera de l’honnêteté, de l’objectivité et un sens critique acéré, pour répondre à des questions existentiels tels que “Qui suis-je”, “Où vais-je”, “Où se trouve mon bonheur ?”.
Abstrait cet article ? Bien au contraire !
Un exemple : “ je suis un homme de fort gabarit, à la technique vacillante mais au physique de bûcheron canadien. Je vais vite et fort parce que j’aime sentir le vent sur mon visage et la neige voler. Ma sortie parfaite, c’est une session poudre extra légère entre des sapins qui plient sous d’énormes quantités de neige, ambiance Alaska.”
Voilà, vous avez déjà défini votre profil de skieur, vos forces, vos faiblesses, et surtout, vos attentes. Bien entendu, à moins d’avoir un portefeuille (très) bien garni, ce procédé implique de faire un choix dans l’offre pléthorique de skis. Qui dit choix dit sacrifice, ou du moins compromis. Rassurez-vous, une fois cette première épreuve remportée, les prochaines coulent de source.
Une fois que vous connaissez votre profil skieur, il est temps de vous pencher sur quelques caractéristiques techniques. Pour faciliter les choses, Barthélémy Ski vous a sélectionné les 3 paramètres essentiels pour bien choisir son ski.
Le rocker, c’est l’endroit où le ski se soulève du sol. On parle de rocker avant pour la spatule, et de rocker arrière pour le talon du ski. Il définit les points de contacts du ski sur la neige. Très apprécié des freeriders, amateurs de neige profonde, le rocker avant permet au ski de “flotter” dans la poudreuse. Eh oui, vous avez la sensation de voler ! C’est ça la magie du rocker.
Utile aux forçats de la poudreuse, un léger rocker aide aussi le débutant. Grâce à lui, le pivot sera plus aisé, et vous déclencherez vos courbes avec élégance et facilité. Quant au rocker arrière, moins fréquent sur des skis classiques, il permet de rééquilibrer le poids du skieur vers l’avant du ski et réduit les risques de se laisser embarquer en arrière.
Attention pourtant, car un gros rocker, conçu pour la neige profonde, vous fera perdre du contrôle en neige dure. Le rocker ne touche alors plus la neige : c’est comme si vous skiiez soudain avec un ski plus court et donc moins stable (qui se souvient des patinettes ?).
On conseille parfois de prendre un ski quelques centimètres sous sa taille réelle. Tout dépend du skieur et du profil du ski, nous explique Barthélémy Ski. En effet, un ski peut être plus grand que vous de plusieurs centimètres et pourtant être adapté à ce que vous cherchez. Sorcellerie ? Non, c’est encore la magie du rocker !
Un amoureux de poudreuse et de grandes courbes se laissera tenter par un ski plus grand que lui avec un rocker important, alors qu’un fan de godilles et de slalom sur pistes penchera pour un ski à sa taille, voire plus petit, pour déclencher ses virages plus rapidement.
N’oublions pas les joies de la montée, où un grand ski peut donner du fil à retordre lors des conversions. A moins d’avoir une bonne technique, le débutant avec des skis trop grands s’offre quelques séances d’acrobaties plus ou moins contrôlées.
La largeur au patin, autrement dit la largeur du ski sous la chaussure, c’est un peu la course à l’armement du ski de rando. C’est un point essentiel du ski car c’est là que se concentre tout le poids du skieur.
Il y a de cela quelques années, un patin de 80 mm était considéré comme large. D’ailleurs, les skis étaient suffisamment lourds comme ça. Aujourd’hui, impossible de penser poudreuse sans 90 mm sous le patin (au bas mot !). Sachez juste qu’un ski passe-partout tourne autour des 80 mm. Au-dessus de 90 mm, on touche au domaine de la freerando, et au-delà de 100 mm… des skis démentiels, pour des conditions (et des skieurs) très spécifiques.
Une grande largeur de patin, c’est le graal du freerider, hors des sentiers battus. C’est la garantie d’une portance accrue. Combiné à un fort rocker, voilà un ski parfaitement adapté au hors-piste et à la neige poudreuse. Mais arrivé sur de la neige dure ou sur piste, ce genre de patin demande plus de technique. Le passage d’une carre à un autre est plus lent et demande donc plus de vitesse et d’engagement dans la courbe. On dit qu’il faut plus “envoyer” pour rester maître de son ski. Une bonne technique est donc de mise.
Et le poids dans tout ça ? Toutes ces possibilités de skis, ça peut faire tourner la tête. Pourtant, la logique implacable des lois de la physique rattrapent parfois nos rêves de largeurs. Je ne vous apprends rien en disant cela, mais plus il y a de matière, plus c’est lourd. Et si la descente est fun, le randonneur averti sait que la montée prend en général beaucoup plus de temps !
Rocker, taille et largeur au patin : trois critères simples et essentiels pour bien choisir ses skis. Toutefois, il en existe d’autres, plus anecdotiques, en tout cas au début. Le cambre par exemple, qui définit la forme du ski, directement lié aux rockers avant et arrière. Il définit entre autres la nervosité du ski et sa réaction lorsqu’on appuie dessus.
Sur les mensurations d’un ski, on observe aussi l’indice de rayon de courbe. Une indication très secondaire en ski de rando, selon Barthélémy Ski, car ce rayon de courbe est faussé en fonction de beaucoup de paramètres, comme la taille des rockers, la rigidité du ski, le poids du skieur. Pour simplifier à l’extrême, plus le rayon est petit, plus la courbe est facile à contrôler.
Félicitations, vous parlez le ski ! Vous êtes désormais parés pour faire face à n’importe quel vendeur au jargon déstabilisant. Que la neige soit avec vous, au nom du Rocker, de la Taille et de la Largeur au patin, Amen.
Merci à Barthélémy Ski pour sa contribution à l’élaboration de cet article. Pour info : http://www.barthelemyski.fr/ ou sur Facebook Ski Barthélémy
Crédits photos : © Arthur Lachat, © Philippe Carollo,© Philippe Royer
