-Qu’est-ce qui se passe sur nos pentes ?
-La saison avait commencé de façon assez simple : partout où la neige est restée jusqu’à fin décembre, essentiellement dans les pentes ombragées d’altitude, c’étaient des couches fragiles. Tout ce qui allait se poser dessus serait instable. Neige nouvelle apportée par le vent et déposée sur ces couches fragiles de début d’hiver : cette situation a donné lieu aux premières avalanches mortelles.
Cette phase est derrière nous maintenant et d’autres situations instables sont apparues, dues aux nouvelles chutes de début janvier, qui à leur tour sont devenues fragiles. Les zones instables se sont donc étendues au delà des zones ombragées d’altitude. Ce qui complique encore l’affaire, ce sont ces redoux et ces épisodes de pluie qui ont crée d’autres discontinuités dans le manteau neigeux : c’est le bazar et on ne sait pas s’y retrouver ! L’illustration de cette situation, ce sont tous les départs dans les stations, les pisteurs qui se font surprendre et embarquer. C’est une situation exceptionnellement compliquée à cause des yoyos de la limite pluie-neige: des couches se modifient, des couches fondent et regelent, cela perturbe les gradients de température et empêche toute extrapolation.
L’épisode en cours de tempête se produit avec des vents qui changent de direction, ça complète le tableau de la totale variabilité au niveau des exposition et de l’altitude ! On a des zones d’altitude plus sûres que celles situées plus bas. Ca remet donc en cause les règles habituelles, du type : « c’est plus dangereux en haut » ou « c’est plus dangereux à l’ombre ».
Un jour comme aujourd’hui, on tire tous les pida (plan de déclenchement des avalanches, ndla) pour les routes, on fait de la prévention à fond, le bulletin d’avalanche met 4 partout. On ne cherche pas à faire les malins.
C’est une situation exceptionnellement complexe.
La situation restera compliquée un bon moment, on a du mal à localiser les couches fragiles enfouies et les accumulation nouvelles. Ca devrait se stabiliser plus rapidement en bas qu’en haut, en-dessous de 2200m, c’est une règle qui devrait marcher, en tout cas c’est mon pronostic. A suivre…
-Que penses-tu de la vidéo de Théo Lange, qui se fait prendre, seul, dans une plaque à vent alors que tous les voyants sont au rouge ?
GoPro : la vidéo de Théo Lange pris dans une… par adrenaline
-C’est la pratique habituelle de ce type de rider ! Il a eu le courage de poster le truc, donc on sait, mais combien de fois ça arrive sans qu’on sache ? Ca illustre ce que je dis sur le fait « d’aller voir » et qui ne sert à rien. Il est « allé voir », il a donné un coup de ski, ce n’est pas parti, il a commencé à glisser et là c’est tombé. Le fait que ça ne bouge pas l’a convaincu, faussement, qu’il pouvait y aller !
Je saluerais ce gars là d’avoir posté ce truc, mais je ne le mettrai pas au pilori parce que des tas de riders font la même chose. Bien sûr que c’est une erreur de partir seul ! On connait le résultat, une avalanche, donc il faut se méfier des leçons qu’on peut donner, c’est délicat de porter un jugement a posteriori, je m’y refuse. S’il n’avait rien déclenché, on aurait dit : c’est une super vidéo, ouah, il est trop fort !
L’avalanche est une combinaison improbable, un évènement hautement improbable. C’est ce qui sauve les riders. La plupart du temps, ça passe !
-Tu as édité un hors-série de Montagnes Magazine Neige&Avalaches en vente en kiosque en ce moment (et co-écrit avec moi). De quel article recommandes-tu la lecture plus particulièrement en ces temps troublés ?
-J’ai mis dans ce magazine tout ce qui me semblait essentiel. J’aime beaucoup la chronique finale de François Albasini (médecin urgentiste, ndla), il parle de la fringale des pentes qui bouffe toutes les précautions qu’on peut prendre ! Bien que ce ne soit pas mon plat préféré, il faut être conscient que les facteurs humains prennent le pas sur le reste si on ne fait pas attention. Je recommanderai aussi l’article d’Alexis Mallon (ancien responsable de la formation de l’ENSA, ndla) sur l’incertitude.
La notion d’ancrage (la prééminence de la dernière information en date dans le processus de décision, ndla), évoquée dans le premier article avec Erik Decamps, a trouvé son illustration avant-hier. Deux pisteurs se sont fait bousculé dans une avalanche, totalement surpris. Leur premier tir n’avait pas donné grand chose, ils ont donc baissé leur niveau de vigilance. Ils se sont fait faussement rassurer… Ils s’en veulent, ils sont pros alors ils ont bien analysé ce qui leur était arrivé,« pourquoi s’est-on fait piéger à deux dans une pente ? ». Ca arrive même aux professionnels…