Regarder défiler les photos de leur voyage est un best-of monumental des pentes du monde entier. Un kaléidoscope d’ambiances saisissantes, de verticalité et de sourires : une pente raide au Tadjikistan, un ciel incroyablement limpide du Tibet, une marche d’approche au Pérou, un bivouac solitaire en Alaska, un couloir secret au Monténégro… Carole et Boris ont vécu pendant plus de dix mois le rêve de tout skieur : glisser autour du monde en se laissant guider par son envie, son instinct et la forme du paysage. Les deux viennent tout juste de rentrer en France et accordent leur première interview au CTC. A peine secs du voyage. Pas encore bien ajustés au rythme. La tête un peu ailleurs. Vraiment ailleurs. « Ce trip de presque un an ne nous a pas calmé, au contraire, ça nous a donné encore plus envie de repartir ! »
– Content de vous revoir ! Vous avez pris la route avec votre camion en janvier dernier pour l’Italie et vous venez tout juste de rentrer du Shishapangma. Alors, vos premières impressions ?
Psychologiquement, on s’était préparés à ce que ce soit très dur, mais finalement, pas du tout ! Il y a eu des moments difficiles, des moments de tension entre nous, mais physiquement on a été surpris : on a toujours été en forme. On ne s’est jamais fait mal, ce qui est le plus important, même pas de petit bobo, car on était toujours dans l’action.
La première chose qui fait peur, c’est l’avalanche. On n’a pas eu de problème ni de conditions effrayantes. On a eu plutôt de la neige accueillante.
En Alaska par exemple, on n’a pas eu peur du tout, ce qui nous a permis de rider librement, sans être sur le qui-vive en permanence.
C’est impressionnant comment tu prends confiance en toi. Au début du voyage, je (Carole) n’étais pas aussi à l’aise qu’après trois mois sur de la pente raide, parfois même à me dire : n’aie pas trop confiance non plus !
– Vous avez skié combien de couloirs ?
Pendant les cinq premiers mois, on a skié une centaine de couloirs peut-être, je n’ai pas compté, on a eu un rendement assez incroyable.
A partir du Pérou et de nos aventures en haute-altitude, le rendement a chuté : nous avions de longues périodes d’acclimatation et des approches, il faut faire des camps, c’est plus laborieux. Et puis on n’avait pas autant d’expérience de l’altitude que de la pente raide. On se concentrait sur un ou deux objectifs pendant un mois seulement, ce qui peut être lassant.
C’est bien la haute-altitude, mais au bout d’un moment, tu en as marre de faire trois camps pour atteindre un sommet, de passer du temps dans la tente, en ne faisant rien, avec mal au crâne. Ce qui est encore plus difficile, c’est que le camp de base peut-être rejoint en dix minutes à ski avec un bon repas, et toi tu dois te motiver à rester dans la tente et attendre ! On s’est fait une bonne expérience, on a compris que la réussite d’un sommet de haute altitude se joue à rien, ça se joue à des petits détails mêlés à de la chance.
Il nous fallait une semaine de break pour retrouver la motivation à remonter en haute-altitude. Une semaine à Kathmandu, à boire six bières par jour, tu te fais carrément chier, tu as envie d’y retourner. Je retournerai bien faire un 8000 m ! (Carole) Pareil, je fais mon sac et je repars ! (Boris).
– Comment avez-vous choisi vos objectifs ? Ils étaient planifiés avant votre départ ?
Non, on n’avait pas tout calé avant de partir, on avait les grandes lignes qu’on a finalisé sur place. On faisait tout au feeling et à vue, on n’a quasiment jamais ouvert un topo ! On regardait par la fenêtre du camion ! Quand tu ne te renseignes pas, tu peux vivre l’aventure, tu ne t’attends à rien. Ce que je j’aime dans la montagne c’est quand tout s’ouvre à toi et que tu découvres. Pour nous l’aventure a commencé dans le Val Ferret, en Italie ! L’aventure était derrière la maison ! Tu te dis : demain je fais ça et après-demain je n’ai rien de prévu ! Ceux qui nous rejoignaient avaient du mal à se caler sur notre rythme, il avaient besoin de savoir où on voulait aller. Pour l’Alaska, on a décidé de la destination au dernier moment et c’était le bon plan. On s’est beaucoup fiés à notre feeling.
Par exemple, quand on s’est posés au camp de base du Pic Communiste, on avait pas trop regardé les montagnes. On savait juste que les deux pics se skiaient. On voulait sortir des voies normales, aller voir un peu plus loin, rayonner. Au Shishapangma à l’inverse, on a pris une agence au dernier moment, ça s’est bien goupillé, sinon on ne pouvait pas le tenter.
On a quand même choisi des destinations connues pour l’alpinisme où il était facile d’organiser des choses. On voulait que ça déroule, on ne voulait pas se prendre la tête, dépenser trop d’argent. A Huaras au Pérou par exemple, tu prends un taxi le matin, il te pose dans la vallée que tu a choisis, tu fais ton sommet et au retour tu l’appelles, deux heures plus tard il vient te récupérer. Pour l’Alaska, tu prends l’avion ! C’est un peu plus cher…
-Vous avez des projets pour cet hiver ?
On a un projet d’enchainement des faces sud chez nous, on voulait le faire il y a deux ans déjà. On aimerait aussi aller dans le Triglav en Slovénie, le potentiel est énorme et c’est peu fréquenté. C’était la déception de notre voyage, c’était sec. On aimerait aussi faire 2 ou 3 semaines en autonomie complète, avec des beaux sommets, en tirant la pulka, en bougeant tout le temps.
-C’était difficile de retrouver sa routine quotidienne en France ?
On a retrouvé notre appart… enfin plus ou moins, il y a encore Cédric Grand et sa vie dedans ! On tourne un peu en rond, il faut s’occuper du courrier depuis 10 mois, de l’URSSAF, il faut faire des recommandés… On met des semaines à rappeler nos potes depuis qu’on est rentré, comme pour repousser le moment de l’atterrissage… On a à la fois envie d’en parler et pas envie. C’est trop frais. C’est la première fois, là maintenant, où on en reparle. Même mes parents, je leur ai pas raconté !
Il faut du temps pour digérer tout ce que ce trip nous a apporté, ce qui a changé, ce qui va nous marquer…
-Quel était votre meilleur moment ?
-(Boris) Un moment bref qui dure 3 ou 5 secondes et qui s’est répété plusieurs fois pendant le voyage. Ce moment où après en avoir bavé, s’être donné, tu touches à la délivrance : au sommet, tu regardes la vue, c’est beau, ça te procure une émotion incroyable, ça te prend les tripes. J’ai senti cela au sommet de l’Artesonjaru (en plus de la fatigue, on a traversé dans un truc irréel, des séracs suspendus, de la glace bleue), au Tadjikistan, même sur des petits sommets.
La fatigue exacerbe les émotions, je peux même pleurer ! La montagne c’est fort pour cela !
(Carole) Pour moi, c’est le moment où on a atterri pour 20 jours sur le glacier en Alaska. Il y avait une superbe lumière, j’avais l’impression d’être dans un rêve, l’immensité des plaines et des sommets, ces glaciers interminables comme je me les étaient imaginé.
Quand l’avion est reparti, on était seuls au monde. J’ai ressenti un sentiment de liberté incroyable !
J’ai adoré ce moment. Après on a tiré et monté les tentes, c’était beaucoup moins drôle.
-Et le pire moment ?
-(Carole) Vivre au quotidien avec Boris dans le camion ! Non, sérieusement : arriver au camp de base 2 du Shishapangma. La journée est magnifique et on regarde des sherpas monter dans une pente en se disant que c’est dangereux, l’avalanche part et il y a un mort. L’atmosphère change de tonalité, les sherpas étaient en pleurs, la réaction des Américains de l’expédition nous a mis mal à l’aise. Ca a fait tout retomber alors qu’on avait enfin un créneau météo de 4 jours, qu’enfin, depuis le amp de base 2, on avait une vraie vue du sommet, il te parait à portée de main. En plus l’accident était évitable. Les sherpas travaillent dur, ils sont dévoués, mais ils avaient décidé de remonter au camp 3 après cinq jours de neige et de vent… On sentait venir l’accident.
-(Boris) La descente du Kalytna Queen en Alaska avec Carole. On avait fait un super sommet et ensuite on devait aller vite pour reprendre l’avion. Donc on n’attend pas que la neige décaille… Je pensais, à la montée, que ce serait skiable, mais à la descente, on a aucune accroche sur les carres. Là, je vois Carole qui descend sans piolets, à l’arrache, (« j’étais en sur-confiance, ça allait très bien pour moi », précise-t-elle). Je me sentais mal pour elle, je me suis énervé, on s’est énervé, on a sorti la corde, on s’est gueulé un peu dessus (Carole : « tu m’as encordé, je ne comprenais pas pourquoi, j’étais vexée »).
Ca m’a fait peur, c’était sérieux, j’étais inquiet pour elle qui ridait la fleur au fusil, je pensais qu’elle n’était pas attentive, qu’elle s’était emballée, alors que non.
Je m’en voulais aussi de mon ressenti trompeur à la montée, j’ai mal apprécié et anticipé la qualité de la neige à la descente.
Photos : Carole Chambaret et Boris Langenstein.
Propos recueillis et portraits n&b par Guillaume Desmurs
Matos :
Chaussures : F1 Evo Scarpa
Skis : VTA 88 Völkl
Fixations : Dynafit Expe.